Comment l’Amérique a éliminé le gazoduc Nord Stream (4/4)
Notre ami Bernard Martoïa a traduit un article du journaliste américain Seymour Hersh (cet article a été divisé en 4 parties pour faciliter la lecture). Vous pouvez lire la première partie ici, la deuxième ici et la troisième ici.
L’équipe américaine obtint un élément qui s’avéra vital au succès de l’opération. Ils convainquirent les planificateurs de la sixième flotte d’adjoindre à leur programme un exercice de recherche. Celui-ci fut rendu public par la marine. Il impliquait une collaboration avec des centres de recherche et de guerre de la marine. Cet exercice en mer devait être tenu au large de l’île de Bornholm. Il impliquait une compétition entre équipes de plongeurs, les unes posant des mines, les autres devant les chercher et les détruire. C’était à la fois un exercice utile et une ingénieuse couverture pour l’opération.
De leur côté, les plongeurs de Panama City pouvaient mener tranquillement leur opération en posant les explosifs C4 sur les gazoducs dans le délai imparti de 48 heures prévu pour l’exercice BALTOPS 22.
Tous les Américains et les Norvégiens seraient partis au moment de la première explosion. Les jours s’égrenèrent. «L’horloge tournait et nous approchions de la date de la mission, » déclara la source.
Et puis Washington changea d’avis. La Maison Blanche s’inquiéta que la fenêtre de deux jours entre l’exercice BALTOPS et la détonation était trop courte. Il paraîtrait évident aux yeux de l’opinion publique internationale que l’Amérique était impliquée dans ce sabotage. Au lieu de cela, la Maison Blanche formula une nouvelle requête : « Est-ce que les gars sur le terrain ont un moyen de faire exploser les gazoducs plus tard ou sur commande ? » Certains membres de l’équipe étaient irrités et frustrés par l’indécision apparente du président. Les plongeurs de Panama City s’étaient entraînés durement à poser des explosifs C4 sur des oléoducs. Mais l’équipe en Norvège devait trouver maintenant un moyen de donner à Biden ce qu’il voulait : la possibilité d’émettre un ordre secret au moment de son choix. Cet arbitraire ne désarçonna pas la CIA habituée à l’immixtion des politiques dans son champ d’action. (1) Mais cela raviva les inquiétudes de certains quant à la nécessité et la légalité de l’ensemble de l’opération.
Cet ordre secret du président évoquait un autre dilemme de la CIA durant la guerre du Vietnam. Le président Lyndon Johnson, confronté à une protestation grandissante de la population américaine, ordonna à la CIA de violer sa charte –laquelle lui interdit expressément d’opérer sur le terrain américain– en espionnant des leaders pacifistes pour savoir s’ils étaient contrôlés ou non par l’Union Soviétique.
La CIA finit par acquiescer. Tout au long de ces années de guerre, il apparut clairement jusqu’où elle était prête à aller. A la suite du scandale du Watergate, des révélations parurent dans la presse concernant l’espionnage de citoyens américains par l’agence, son implication dans l’assassinat de dirigeants étrangers et son travail de sape contre le gouvernement socialiste de Salvador Allende. Ces révélations donnèrent lieu à une série d’auditions au sénat conduit par Frank Church de l’Idaho. Elles démontrèrent que Richard Helms, le directeur de la CIA, acceptait ce que le président lui demandait de faire, même si cela impliquait de violer la loi.
Dans un témoignage inédit à huit clos au Sénat, Helms utilisa une surprenante métaphore pour exprimer ses regrets. « Vous avez presque une Immaculée Conception quand vous exécutez un ordre secret du président. Que cet ordre soit bon ou mauvais, la CIA travaille avec des règles différentes que celles des autres branches du gouvernement. » Il voulait dire par là aux sénateurs qu’il travaillait pour la couronne et non pas pour la constitution.
Les Américains en Norvège étaient soumis à la même dynamique. Ils commencèrent consciencieusement à travailler sur le nouveau problème : comment faire exploser à distance les explosifs C4 sur l’ordre de Biden. C’était une mission beaucoup plus exigeante que ne pouvait le comprendre le commanditaire à Washington. Il n’y avait aussi aucun moyen de savoir quand le président pouvait appuyer sur le bouton. Est-ce que ce serait dans quelques semaines, dans quelques mois ou encore plus tard ?
L’explosif C4 attaché au gazoduc pouvait être activé par le sonar d’une bouée jetée depuis un avion, mais la procédure impliquait une technologie de pointe pour le traitement du signal. Une fois en place, le détecteur attaché à l’un ou l’autre des gazoducs pouvait être déclenché accidentellement par un bruit de fond lié à la fréquentation de la mer Baltique, que ce soit de la part de bateaux de près ou de loin, de forage en mer, d’activité sismique, de vagues ou même de créatures animales.
Pour éviter cela, le sonar de la bouée devait émettre un signal unique de basse fréquence, comme celui d’une flûte ou d’un piano, et que le système de détection placé sur l’explosif fût capable de l’identifier parmi le bruit de fond. Après un délai de quelques heures, le dispositif de chronométrage déclencherait l’explosion.
« Vous devez avoir un signal suffisamment robuste pour qu’aucun autre ne puisse déclencher accidentellement l’explosion, » me dit Theodore Postol, professeur émérite du Massachussetts Institute of Technology à Boston. Il fut aussi un conseiller scientifique auprès du commandement des opérations navales du Pentagone. Le délai posé par Biden était problématique. « Plus long est l’attente, plus grand est le risque qu’un signal aléatoire ne déclenche l’explosion, » ajouta-t-il.
Le 26 septembre 2022, un avion de reconnaissance P8 de l’aviation norvégienne fit un vol, apparemment de routine, et largua la bouée avec le sonar. Le signal commença à émettre sous l’eau. Il fut d’abord capté par les détecteurs des explosifs placés sur le gazoduc Nord Stream 2, puis par ceux de Nord Stream 1. Quelques heures plus tard, les explosifs furent déclenchés et trois sur quatre des gazoducs furent détruits. En quelques minutes, d’énormes bulles de méthane remontèrent à la surface de la mer et le monde découvrit que quelque chose d’irréversible venait de se produire.
LE DÉNOUEMENT
Dans les jours qui suivirent ce sabotage, les médias américains le traitèrent comme un mystère insolvable. La Russie fut traitée, à plusieurs reprises, comme présumée coupable, par des fuites calculées et encouragées de la Maison Blanche, mais sans jamais établir, au-delà d’une simple vengeance, un clair motif pour que la Russie commît cet acte d’auto-sabotage. (2)
Quelques mois plus tard, lorsqu’il fut découvert que les autorités russes avaient obtenu discrètement une estimation du coût des réparations, le New York Times décrivit la nouvelle comme une théorie compliquant l’authentification des auteurs du complot. Aucun journal national n’enquêta sur les menaces à l’encontre des gazoducs qui furent proférées par Biden et le sous-secrétaire d’État Victoria Nulland.
Alors qu’il ne fut jamais clairement établi pourquoi la Russie eût cherché à détruire son lucratif gazoduc, une explication plus rationnelle pour l’action du président émana du secrétaire d’État Blinken. Interrogé à une conférence de presse, en septembre 2022, à propos de l’aggravation de la crise énergétique en Europe occidentale, Blinken décrivit celle-ci comme potentiellement favorable.
« C’est une occasion formidable de supprimer une fois pour toute la dépendance à l’égard de l’énergie russe et donc d’empêcher Poutine d’utiliser celle-ci pour ses visées impériales. C’est très important et cela offre une formidable opportunité stratégique pour les années à venir. En attendant, nous sommes déterminés à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les conséquences ne soient pas supportées par les citoyens de nos pays ou même par ceux du monde entier. »
Plus récemment, Victoria Nulland exprima sa grande satisfaction concernant la destruction des gazoducs. Lors d’une audition devant le comité des relations internationales au sénat, en janvier 2023, elle répondit au sénateur Ted Cruz, « Comme vous, je suis très satisfaite de savoir que Nord Stream est maintenant, comme vous aimez le dire, un simple morceau de métal au fond de la mer. »
La source avait une vision beaucoup plus proche de l’homme de la rue concernant la décision de Biden de saboter les gazoducs à l’approche de l’hiver. « En parlant du président, il faut admettre que ce type a des couilles. Il a dit qu’il allait le faire et il l’a fait. » Interrogé à propos de l’absence de réaction des Russes, il répondit cyniquement : « Peut être qu’ils n’ont pas la capacité de faire ce que nous faisons. Il poursuivit en disant : « C’est une belle histoire de couverture. » Derrière celle-ci se cachait une opération secrète avec des experts sur le terrain et un équipement fonctionnant grâce à un signal unique. Le seul défaut, c’était d’exécuter cette opération.
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Sources
- L’immixtion du président John Fitzgerald Kennedy et de son frère Robert qui était le procureur général fit capoter le plan d’invasion de Cuba concocté par la CIA. Le débarquement de la baie des cochons fut un désastre car les mercenaires ne reçurent pas l’appui promis de l’armée américaine.
- Tout enquêteur digne de ce nom doit se poser la question à qui profite le crime. Manifestement, le bon sens a disparu chez les commentateurs qui montrent des signes inquiétants de conditionnement pavlovien.
https://nospensees.fr/pavlov-et-le-conditionnement-classique/
Le vide juridique
Ce sabotage est un acte de guerre. Voici ce que dit l’article 5 de la charte de l’OTAN.
Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales.
L’article 5 de cette ne prévoit pas l’éventualité d’une attaque d’un pays membre (United States of America) contre un autre membre (Deutschland) de cette organisation de défense collective.
Le vide juridique désigne l’absence de normes applicables à une situation donnée.
Le traité de Versailles de 1919, basé sur les quatorze points du président américain Woodrow Wilson, nourrit le revanchisme allemand.
« Ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont condamnés à la revivre » George Santayana
(2) Commentaires
Articles confirmant le cynisme criminel des mondialistes qui tiennent les USA, afin de semer le chaos chez leurs alliés, et détruire la Russie, alors que celle ci a demandé une coopération américano-européenne de puis 20 ans.
Ce sabotage ,acte de guerre contre ses « alliés » méprisés, marque un cran supplémentaire dans l’ignominie des hommes de pouvoir. Il est la conséquence de la non application criminelle des accords de Minsk.
Un chroniqueur engagé dans une vision délirante du conflit en Ukraine, acharné procureur à charge contre la Russie et sa culture traditionnelle et européenne, devrait accepter la réalité , même si elle est consternante, et présenter ses « regrets sincères » aux lecteurs avertis des 4 Vérités. qui par ce compte rendu, méritent leur nom.
je vous remercie pour votre commentaire à ma traduction de l’enquête menée par Seymour Hersh. Ce journaliste américain a reçu le prix Pulitzer en 1970 pour avoir dévoilé le massacre de Mai La au Vietnam. Ses confrères ne lui ont pas emboîté le pas en enquêtant, à leur tour, dans les arcanes de Washington.
Jacques Baud a aussi évoqué un vide juridique à propos de l’agression perpétrée par un pays membre de l’Otan contre un autre de cette organisation collective de défense.