Domaine réservé du chef de l’État : une anomalie républicaine
Nous avions l’an passé consacré des développements au « domaine réservé » du Président au sein de notre dispositif institutionnel (n° 1437).
À ce titre, celui-ci conduit la politique étrangère et se trouve en charge de la défense nationale. Ces attributions sont considérées comme constituant des pouvoirs propres. Le « domaine réservé » est une sorte de sanctuaire. Non prévu expressément par la Constitution, il a été imposé par le général de Gaulle. Il est considéré comme un usage qui n’a pas été remis en cause depuis, et que les parlementaires veillent à ne pas enfreindre, sauf à être rappelés à l’ordre comme on l’a vu à l’automne 2023.
C’est, face au conflit en Ukraine – cet orage de nature à menacer la paix en Europe – que la manière bien personnelle d’agir de l’actuel locataire de l’Élysée, nous avait invité à nous pencher sur cet aspect de la fonction présidentielle. La situation de tension que nous connaissons actuellement, alimentée par les dernières prises de position du président français sur ce dossier, interroge.
Nous avions souligné la manière bien solitaire du chef de l’État de gérer le dossier Ukraine. Il nous avait semblé que cette façon de faire n’était pas conforme à la tradition républicaine d’association nécessaire de la représentation nationale à la conduite des affaires. En effet, après le déclenchement du conflit, le chef de l’État s’est assez rapidement déclaré soutien inconditionnel à l’Ukraine et a entendu s’impliquer au point de nous tirer vers la co-belligérance (n° 1447).
Des rencontres fortement médiatisées ont eu lieu entre lui et son homologue ukrainien et une aide substantielle a été apportée à ce pays, avec lequel nous n’avions pas, auparavant, de liens particuliers. L’Ukraine pourrait même se révéler un concurrent redoutable pour notre agriculture si elle entrait dans l’UE.
Certes, le Parlement a été informé de la teneur de nos relations avec Zelensky et les chefs des partis politiques ont été conviés à des points d’information. En 2024, un accord de soutien à l’Ukraine a été ratifié par l’Assemblée. Mais l’on voit bien que, « domaine réservé » oblige, il est plus demandé au Parlement d’avaliser les choix présidentiels que de juger de leur opportunité. Il en découle que le parti-pris de départ pro-Ukraine fait que nous sommes désormais, de fait, en situation exposée.
Cette lecture gaullienne du « domaine réservé » est-elle encore acceptable dans le contexte actuel de « menace géopolitique » que l’on nous annonce prégnante ? L’allocution télévisée du 5 mars dernier a été moins un discours de présentation maîtrisée de la situation que de désignation fébrile d’un adversaire – la Russie – et de préparation de l’opinion au pire. Dans les jours qui ont suivi, diverses réunions entre États européens destinées à donner corps à ces allégations sont intervenues. Et il y avait bien dans les médias des accents de mobilisation générale.
Nos compatriotes se demandent à juste titre vers quel rivage inhospitalier nous font dériver ces spéculations. Ils se demandent aussi, pour les plus sceptiques, s’il n’y a pas, au-delà de ce discours engagé, une entreprise de diversion par rapport aux vrais problèmes du pays. Au Parlement, seule la droite patriote a émis des réserves face aux propositions aventureuses – comme l’envoi de troupes au sol en Ukraine. Au point de donner l’impression que nous cherchions à en découdre.
Une question, dès lors, s’impose : peut-on laisser un homme seul, dont l’expérience en matière internationale n’est pas celle que possédait le fondateur de la Ve République, tout régenter en matière de diplomatie et de défense ?
Dans une démocratie, le principe intangible est celui du contrôle des gouvernants par les gouvernés. Le principe du « domaine réservé » porte en lui-même un accommodement avec cette règle. Il convient donc de donner un statut constitutionnel à cette anomalie par ajout d’un alinéa à l’article 5 de la Constitution. De la sorte, il pourra être obvié à des choix potentiellement imprudents.
Aux USA, le président n’entreprend rien d’important à l’international sans en référer au Congrès. C’est de ce modèle de vigilance constructive qu’il convient de se rapprocher de sorte que nous soyons préservé de toute aventure. Notre histoire n’en manque pas …
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