Entretien avec Charles Onana sur le génocide au Congo
Vous avez publié des enquêtes sur le génocide au Rwanda. Vous évoquez aujourd’hui un autre génocide qui a tous les aspects du prolongement du premier. Pouvez-vous nous détailler les faits ?
Vous évoquez l’holocauste que subit actuellement le peuple congolais depuis pratiquement 30 ans maintenant. Les faits sont assez simples. En 1994, le régime tutsi de l’actuel président rwandais Paul Kagame a planifié l’invasion masquée du territoire de la République Démocratique du Congo, ex-Zaïre. Cette invasion reposait sur la création d’un afflux de réfugiés rwandais sur le sol congolais pour faciliter ensuite son occupation. Autrement dit, les troupes de Paul Kagame avaient choisi de pousser ces réfugiés en RDC dans le dessein d’envahir ce pays, piller ses ressources minières et y commettre des massacres de masse.
A l’époque personne n’avait compris cela puisque les organisations humanitaires croyaient que le Zaïre était plutôt victime des conséquences du génocide rwandais. Elles parlaient d’ailleurs de « dégât collatéral » du génocide du Rwanda au Zaïre. En réalité, le régime de Kagame avait simplement décidé de prendre le pouvoir au prix d’un effroyable bain de sang au Rwanda, dont la finalité était aussi la prise de contrôle des ressources minières congolaises pour le compte des multinationales anglo-américaines. C’est en travaillant sur l’opération Turquoise, décidée par le Conseil de sécurité de l’ONU sur initiative de la France, que cette situation est pour moi devenue claire et que j’ai saisi le sens de l’extermination des Congolais vivant dans les zones minières convoitées par Paul Kagame.
A propos de l’opération Turquoise (intervention de l’armée française pour stopper le génocide rwandais), vous aviez rejeté les accusations du président rwandais Kagame contre la France. Ici, votre nouveau livre s’interroge sur la responsabilité de la France. Pourquoi?
Parce qu’en France, il y a parfois une lecture erronée des faits et des réalités géopolitiques. L’exemple du Rwanda est un pur scandale. Les accusations contre la France sont fausses et il est facile de le démontrer. Il est établi par toutes les sources sérieuses et par des documents d’archives que la France, sous François Mitterrand a tout fait pour soutenir la paix et le dialogue entre Hutu et Tutsi au Rwanda. Que l’on aime Mitterrand ou que l’on le déteste, cette réalité est incontestable. Malheureusement, cette dimension de la politique étrangère de la France a été occultée au profit des querelles intestines franco-françaises. C’est regrettable mais c’est un fait. Du coup, très peu de personnalités osent défendre la politique étrangères menée par la France entre 1990 et 1993 au Rwanda. Kagame a profité de la faille ouverte par les dirigeants français eux-mêmes pour soutenir ses accusations mensongères, y compris contre l’opération Turquoise.
Dans le cas de la RDC, c’est tout autre chose. La politique prônée par Nicolas Sarkozy dans ce pays fut un désastre car celui-ci est devenu l’allié principal de Paul Kagame, notamment lorsqu’il a préconisé le « partage des richesses de la RDC avec le Rwanda » ; ce qui avait profondément choqué les Congolais. Emmanuel Macron, conseillé par le même Nicolas Sarkozy, s’est aligné sur Kagame et s’est abstenu de lui demander des comptes sur l’assassinat des gendarmes français commis par les rebelles tutsi du Front Patriotique Rwandais en 1994 à Kigali. Pourtant, Paul Kagame est désormais reconnu comme un criminel contre l’humanité au Rwanda et en RDC. Des dizaines de rapports de l’ONU montrent, en effet, que ses troupes pillent et tuent en RDC. En France, on baisse la tête en fermant les yeux sur ces atrocités. Ceux qui osaient parler d’aveuglement de François Mitterrand au sujet du président rwandais Juvénal Habyarimana ne disent absolument rien sur l’attitude de Sarkozy ou de Macron à l’égard de Paul Kagame. Je me souviens qu’une trentaine de députés français, toutes tendances confondues, ont écrit en 2020 au président Macron sur le drame de la RDC. Ils n’ont jamais reçu la moindre réponse. C’est cette attitude étrange que je questionne dans ce nouveau livre Holocauste au Congo : l’omerta de la communauté internationale.
Votre livre met en lumière une sorte de coalition tutsie dépassant largement les frontières du Rwanda. Pouvez-vous nous éclairer sur la dimension géopolitique du drame?
J’ai découvert l’évocation de ce projet machiavélique dans les archives de la Maison Blanche et de l’Elysée. Pendant longtemps, je n’y avais jamais cru. C’est pourtant le professeur Bernard Debré, ancien ministre de la Coopération, qui me l’avait expliqué au cours d’un long entretien dans son bureau à l’hôpital Cochin à Paris. Il m’avait confié que des Tutsi du Rwanda sous la houlette de Paul Kagame envisageaient de créer un territoire qui regrouperait des Tutsi du Rwanda, du Burundi et d’Ouganda avec pour centre de gravité l’est de la RDC. Il connaissait beaucoup de détails issus de ses conversations avec les concernés qu’il côtoyait dans le cadre de ses activités politiques. Le chef d’état-major particulier du président Mitterrand, le général Christian Quesnot l’a confirmé par la suite. Lorsque j’ai eu à examiner les archives de maison Blanche, j’ai découvert que l’ambassade des Etats-Unis au Rwanda avait rédigé un rapport sur ce même projet en novembre 1994. J’ai donc compris que plusieurs personnes détenaient des informations à ce sujet mais qu’il ne fallait surtout pas en parler pour ne pas gêner les régimes du Rwanda et de l’Ouganda, principaux alliés de Washington et de Londres en Afrique des Grands lacs.
Quelle est la responsabilité dans ce nouveau génocide des Anglo-Saxons qui ont beaucoup fait pour déstabiliser l’influence française dans cette zone de l’Afrique ?
Elle est écrasante et une partie de la classe politique française, inféodée à Washington, ne se risquerait pas à la pointer du doigt, par peur de représailles ou simplement par lâcheté. Par exemple, les parlementaires français ont prétendu lors de la publication de leur rapport d’informations sur le Rwanda en 1997 qu’il n’y a pas eu de complot des Etats-Unis contre la France au Rwanda. C’est faux. Washington a monté une opération « humanitaire » parallèle à l’opération turquoise sous le nom de code d’opération « Support Hope » pour apporter une aide militaire conséquente à Paul Kagame qui préparait dès 1994 l’invasion du Zaïre et la chute du président zaïrois Mobutu Sese Seko. L’Ouganda a servi de base arrière à cette mission secrète et à sa logistique et tout le monde a gardé le silence.
Comment la France et l’Europe pourraient-elles intervenir pour mettre fin à ces gigantesques massacres?
C’est très difficile car les uns et les autres se sont déjà compromis avec Kagame. Par exemple, l’Union Européenne a récemment versé plus de 20 millions de dollars au Rwanda alors que les experts des Nations Unis rendaient leur énième rapport sur le soutien de ce pays à des groupes armés violents et aux terroristes du M23 en RDC. Quelques rares députés européens tentent de dénoncer ces massacres de masse et ce pillage en bandes organisées de la RDC mais en vain. Les forces occultes qui soutiennent les criminels contre l’humanité en RDCongo semblent plus fortes et plus influentes en Europe et en France. La Grande-Bretagne a d’ailleurs conclu un accord avec le régime de Kigali pour y « exporter » les immigrés entrés clandestinement sur le territoire britannique quelque soit leur pays d’origine. Ceci ne signifie pas qu’il faut se résigner ni qu’il faut céder à l’impuissance qui a tendance à s’emparer des Français ou des citoyens Européens. Il faut d’autant plus se mobiliser que l’ancien ambassadeur italien Luca Attanasio qui était en poste en RDC et qui dénonçait ces atrocités a été assassiné en février 2021 dans des circonstances non encore élucidées et que l’Union Européenne n’a absolument rien fait pour identifier et traduire en justice les auteurs de cet acte odieux.
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