Georgescu et les modernes Saint-Just
Le 24 novembre dernier, Călin Georgescu est arrivé en tête du premier tour lors de l’élection présidentielle en Roumanie.
Il a été aussitôt qualifié de « candidat d’extrême droite » et de « candidat pro-russe » – les médias dominants ayant même déclaré que l’intéressé ne devrait son succès qu’au soutien russe qu’il aurait obtenu sur Tik Tok.
Le complotisme des anti-complotistes est véritablement fascinant. Pour ma part, je n’arrive pas à imaginer comment Tik Tok pourrait suffire à faire émerger un candidat victorieux dans une élection majeure – ni, moins encore, comment il serait possible qu’un candidat bénéficie du soutien russe, tandis que son adversaire n’aurait aucun soutien d’aucun autre pays, pas même de l’UE.
Ce « narratif » a « justifié » alors la suspension du processus électoral. Avouons que cela ne manque pas de sel : suspendre la démocratie pour sauver la démocratie est un procédé assez inattendu.
Mais cette affaire, qui était déjà pour le moins loufoque, a atteint des sommets le 9 mars dernier quand la commission électorale a rejeté la candidature de Călin Georgescu. C’est-à-dire que, non seulement sa victoire au premier tour a entraîné l’interruption des élections, mais qu’en plus, il ne pourra plus y participer !
L’intéressé peut toujours faire appel devant la Cour constitutionnelle mais, vu l’opposition de « l’État profond » à sa candidature, on ne serait pas surpris que l’appel soit infructueux.
J’ignore tout de l’idéologie de M. Georgescu et il est bien possible qu’il soit réellement « pro-russe », « populiste » ou « d’extrême droite » (même si je note que les médias se gardent bien de citer une seule phrase de lui qui montrerait qu’il s’agit d’un dangereux personnage).
Ce que je sais, en revanche, avec certitude, c’est que ce sont précisément des décisions de ce type qui conduisent les peuples à se défier de leurs dirigeants et de leur système politique.
Considérer que le candidat en tête d’une élection présidentielle est trop « anti-système » pour avoir le droit d’être candidat, est exactement ce qui fait glisser de la démocratie au populisme : on interroge le peuple, mais il n’a pas vraiment le choix (comme nous, Français, l’avons appris à nos dépens avec le référendum de 2005).
Pensez-vous vraiment que cela persuade que la démocratie est le régime idéal pour exprimer la souveraineté du peuple ou pour régler les transitions politiques de façon pacifique ?
Thierry Breton, ancien commissaire européen, s’est félicité que sa loi sur la régulation des réseaux sociaux ait été appliquée en Roumanie – ce qui, si les mots veulent dire quelque chose (mais avouons qu’il est loin d’être certain que les propos de nos « chers » dirigeants veuillent réellement dire quelque chose !), signifie qu’une directive européenne permet d’invalider n’importe quel processus électoral, pour peu que l’on ait un doute sur une ingérence étrangère utilisant des réseaux sociaux (ce qui est le cas dans à peu près toutes les élections importantes, partout dans le monde !).
Plusieurs dirigeants de l’administration Trump, à commencer par J. D. Vance et Elon Musk, ont dénoncé la décision de la commission électorale roumaine.
Mais ce que des Américains ne peuvent pas vraiment comprendre, c’est que, de ce côté-ci de l’Atlantique, nous avons un remarquable principe politique : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », selon le mot de Saint-Just.
Est-il besoin de préciser que c’est à la gauche de décider qui est « ennemi de la liberté » ?
Le plus extraordinaire est qu’il reste des personnes qui croient encore que la démocratie, telle qu’elle est pratiquée dans notre belle Modernité politique, soit un système impartial bénéficiant au peuple !
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