La dernière cartouche de Macron ?

La dernière cartouche de Macron ?

La nomination de Sébastien Lecornu à Matignon était attendue et certainement jaugée au cours de l’été : un ministre discret, proche du président, mais capable de parler à Marine Le Pen et aux notables socialistes. Un macroniste gouvernemental de la première heure, mais également un habitué du marigot politique – il fut à ses débuts un proche collaborateur de Bruno Le Maire. Une personnalité qui ne fait pas de vague, mais capable de manœuvrer.

Bref, le nouveau locataire de la rue de Varenne répond à un cahier des charges assez complexe dans une fin de quinquennat de plus en plus fragile.

Le Président de la République, par sa dissolution ratée de juin 2024, a privé les institutions d’une majorité à l’Assemblée nationale qui, à défaut d’être absolue, n’est même plus une majorité simple, les élus macronistes formant un bloc fragile, incapables de s’entendre avec les deux autres et devant accepter d’inclure les Républicains dans un « socle commun ». Il n’y aura pas d’état de grâce, mais rapidement un enfer et, au bout de quelques mois, le titulaire sera assez vite essoré – peu importe les principes qu’il invoquera. Car les pratiques de ces dernières décennies, leur accélération sous l’actuel président ont, en fait, privé le chef de l’État d’un paratonnerre pratique.

Même lorsque le Premier ministre s’émancipe un peu du président de la République (Barnier ou Bayrou), il n’échappe pas à cette loi d’airain de la relégation qui continuera à jouer alors même qu’il n’y a plus de majorité solide et que le président n’a plus vraiment la main.

Au point que le RN et les Insoumis raisonnent en termes de présidentielle, le brouhaha parlementaire cachant mal le fait qu’ils misent sur l’élection supposée reine. Ils aimeraient jouer le match retour d’une élection perdue en 2022, soit au premier tour (Mélenchon), soit au second (Le Pen).

Ces considérations peuvent être longues, mais elles posent le cadre dans lequel le nouveau Premier ministre évoluera. En revanche, des éléments humains peuvent jouer. Il faut reconnaître que l’ancien Premier ministre a mal joué sa partition, en s’isolant, incapable de prendre la main, malgré un discours qui n’était pas dénué d’intérêt (son insistance sur la dette et sur les comptes publics). Mais, surtout, en accélérant sa chute par le recours à instrument qui n’était pas censé mettre fin à une aventure gouvernementale : la déclaration de politique générale, dont les constitutionnalistes s’accordent à dire que son utilisation dans le cadre de la Constitution de 1958 n’a rien d’obligatoire. Bayrou l’aura juste transformée en motion de censure utilisable à peu de frais (pas de majorité absolue des députés pour son adoption). Par une gestion chaotique de la machine gouvernementale, François Bayrou a tué ce qui restait de démocratie-chrétienne comme pôle solide et alternatif de l’espace politique. Avec Lecornu, on revient à une figure moins erratique, à défaut d’être charismatique.

Dans ces circonstances, on comprend que les vraies ressources du Premier ministre sont ses qualités personnelles. S’il est plus discret que Barnier et Bayrou, Lecornu n’en est pas moins retors. Cette fois-ci, ce sont des défauts qui pourraient devenir des qualités. Quelles sont ces qualités ? Retenons-en une (la politique est aussi une affaire de survie) : la capacité à se maintenir depuis 2017. Lecornu est le ministre qui a la plus forte longévité ministérielle sous Macron. Ce qui démontre une habileté à se faufiler car, au fur et à mesure de ses expériences ministérielles, l’intéressé a pris des fonctions de plus en plus élevées. S’il est resté en poste, c’est grâce au fait du prince, mais aussi parce que son habileté personnelle a pu jouer. On le vérifiera dans la constitution d’une nouvelle équipe gouvernementale dont la composition relève de la quadrature du cercle : ne pas trop s’affranchir de la droite sans effrayer la gauche non mélenchoniste, mais sans rebuter trop vite le RN. Ça passe ou ça casse.

Jean-François Mayet

Politologue

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