La surprenante victoire des libéraux au Canada
Comment comprendre les résultats relativement inattendus du scrutin législatif canadien, tenu le 28 avril dernier,et quelles leçons en tirer?
Les Canadiens viennent de voter et le résultat est relativement inattendu,surtout pour un observateur qui aurait simplement gardé en tête le point de vue de novembre dernier quand les libéraux de Justin Trudeau était promis à une spectaculaire défaite face au parti conservateur de Pierre Poilievre. Les sondages prévoyaient en effet une déroute avec environ 20 % des intentions de vote pour les libéraux au pouvoir et 40 % pour leurs adversaires conservateurs.
Or les urnes ont livré un verdict radicalement différent : 43,7% des voix pour les libéraux (dirigés par Mark Carney depuis janvier) contre 41,3 pour les conservateurs avec un écart de près de 500 000 voix. En sièges on est à 169 contre 143, soit un peu moins de la majorité pour les libéraux.
Un tel résultat est à mon sens largement explicable par la supériorité tactique des libéraux dans un contexte international dominé par les déclarations de Donald Trump.
Comment expliquer ce retournement ?
Tout d’abord le premier ministre libéral, Justin Trudeau, devenu impopulaire dans l’opinion comme dans son propre parti a fait le choix de jeter l’éponge en janvier. Au terme d’une campagne éclair les militants libéraux élisent à leur tête un homme inattendu : Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre après avoir exercé les mêmes fonctions au Canada . Ce fut la première bonne décision des libéraux car la démission de Trudeau les a libérés d’un boulet et a déstabilisé le candidat conservateur qui a perdu sa tête de turc.
Deuxième bonne décision : le choix d’un novice en politique qui pouvait afficher une forte compétence économique sans être aucunement marqué par les décisions prises par Trudeau, au pouvoir depuis 2015. Or dans le cadre d’un risque de crise économique provoquée par un conflit douanier avec le grand voisin du Sud, l’expérience mais aussi le caractère sérieux et déterminé de Kearney étaient certainement de bons atouts .
Troisième bonne décision : Carney a su prendre ses distances à l’égard des obsessions sociétales sur lesquelles Trudeau était très engagé : féminisme, immigration, ouverture aux revendications des autochtones, légalisation de la marijuana… Il s’agissait là, en effet, de sujets clivants qui discréditaient les libéraux, notamment dans l’électorat populaire. Au contraire, les premiers déplacements du nouveau premier ministre furent Paris et Londres, exprimant un intérêt nouveau pour les deux “peuples fondateurs” du pays et pour la Couronne. Les libéraux étaient tellement anxieux qu’ils ont admis ce changement de cap sans barguigner.
Le camp conservateur, malgré une très forte mobilisation justifiée par une forte exaspération à l’égard des libéraux a, certes, obtenu un bon résultat mais sans parvenir à finir en tête, ce qui dans un mode de scrutin a un seul tour (que le Canada pratique comme nos voisins anglais) aboutit à un échec insurmontable.
Pierre Poilievre, le dirigeant conservateur, a commis plusieurs erreurs : le plus grave fut de manquer de clarté vis-à-vis de Washington. Quelle allait être sa stratégie ? Quelle serait sa force de caractère ? Le “chef” conservateur est resté trop flou et peu crédible alors même que son parti est traditionnellement attaché à de bonnes relations avec les États-Unis.
Et plus fondamentalement les “bleus” n’ont pas changé de programme et sont restés axes sur un discours revanchard, anti fiscal et contre Trudeau, sous-estimant les deux innovations radicales constituées par l’arrivée d’un nouveau chef de gouvernement et la dramatisation des relations avec les États-Unis.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de ce scrutin ?
Pour compléter ce tableau, je crois qu’il est nécessaire d’intégrer quelques éléments de détail lié aux spécificités de la vie politique du Canada
En premier lieu, le mode de scrutin majoritaire à un tour favorise massivement le parti arrivé en tête mais on ne doit pas oublier qu’au Canada existe un tiers parti : le NPD nouveau parti démocratique) qui se situe à gauche des libéraux.
L’une des faiblesses de Trudeau était de passer pour trop progressiste sur les sujets sociétaux aux yeux de l’électorat centriste qui était donc amené à passer dans le camp conservateur mais qu’il ne l’était pas assez sur le plan économique pour dissuader l’aile gauche de son électorat de voter NPD .
Avec les menaces de Donald Trump contre le Canada, une partie substantielle de l’électorat NPD s’est reporté sur les libéraux dans un souci de vote utile pour défendre l’indépendance nationale. A l’inverse la personnalité de Mark Carney a permis d’attirer des électeurs centristes qui auraient pu voter conservateur
En second lieu, le Canada est une monarchie dont la couronne repose sur la tête du roi d’Angleterre. Carney vient de l’inviter à prononcer le discours du trône le 27 mai prochain au Parlement d’Ottawa pour ouvrir la session. Ce faisant, le Gouvernement du Canada rappelle à tous qu’il est fondamentalement étranger à la culture politique des États Unis et qu’il a maintenu un système monarchique qui correspond à son origine historique : le refus de suivre les 13 colonies dans leur volonté d’indépendance en 1776.
Une situation curieuse qui intègre aussi sur un plan plus matériel une capacité pour le Canada, lorsque les relations se dégradent avec les États-Unis, à regarder vers la mère patrie . Et ceci, au moment même où Londres s’est exclue de l’Union européenne et cherche à réactiver les liens qui l’unissent au Commonwealth. Et nous devons pas le négliger, mais sur ce plan le prestige de la monarchie est une arme incomparable.
Quant à Donald Trump, il semble clair que ses méthodes, sans doute un peu trop franches, ne sont pas de nature à susciter l’adhésion de ses voisins ..
Autre chose, pour finir, je vous propose de réfléchir aux apparences : le leader des libéraux n’était pas tout à fait un inconnu mais un brillant technocrate mondialisé qui a fait ses études aux Etats-Unis (Harvard) et en Angleterre (Oxford) même si sa « mondialisation » est en fait limitée à l’univers anglo-saxon. Il fut en effet successivement à la tête des banques centrales canadiennes et britanniques. Cet homme élégant, expérimenté et sérieux pourrait marquer une double rupture non seulement face aux leaders « populistes » dans le style de Donald Trump ou Marine Le Pen mais aussi par rapport aux jeunes iconoclastes comme Trudeau ou … Macron !
Philippe PELISSIER
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