Le chaos, c’est Bruno ?

Le chaos, c’est Bruno ?

C

e n’est pas une démission, c’est une déflagration. Il n’aura pas fallu douze heures pour que le nouveau gouvernement Lecornu se résigne à jeter l’éponge. La raison réside dans la volte-face de Bruno Retailleau qui avait décidé de remettre en cause le gouvernement où il était confirmé une heure et demie avant. Pour Sébastien Lecornu, il était difficile de jouer la comédie du gouvernement stable, capable de répondre à certaines échéances comme l’adoption du budget. Comme nous l’avions écrit, « ça passe ou ça casse » (n° 1512), et c’est la deuxième option qui est advenue.

Faute de soutien des Républicains, le nouveau Premier ministre, qui avait déjà théorisé sa fragilité (pas d’usage du 49-. 3) et reconnu qu’il était le plus faible Premier ministre de la Ve République, a préféré ne pas entretenir la fiction de la solidité. Il devient également le plus bref chef de gouvernement de la Ve, chapeautant des ministres qui n’auront pas cessé d’être démissionnaires depuis le refus de la confiance à François Bayrou.

L’explication serait simple : Retailleau n’a pas apprécié de retrouver Bruno Le Maire que ses collègues élus, notamment au Sénat, n’ont cessé de conspuer pour sa responsabilité dans l’endettement public. Il est vrai que cette nomination a quelque chose de surréaliste. Pour autant, il convient d’être prudent dans l’usage des narratifs des uns et des autres. Car la multiplication des explications ne saurait masquer leur caractère éminemment subjectif. Il semble que Retailleau était au courant de la nomination de Le Maire et qu’il s’est gardé de le dire pour ménager toutes les issues. Mais, face à la fronde d’une partie des cadres de son parti, à commencer par Laurent Wauquiez, il a également jeté l’éponge. On connaît la suite.

Pour Les Républicains, c’est le caractère criant de l’impasse des situations à choix contraints. Un retour à la case-départ de juillet 2024, mais avec ce handicap d’avoir été aux commandes et d’être comptables du bilan présidentiel. S’ils restent, Les Républicains sont accusés d’être les béquilles de la Macronie finissante. Mais s’ils partent, Les Républicains perdent un précieux avantage dans le jeu des nominations tout en étant accusés de contribuer à l’instabilité gouvernementale. Ce qui est précisément en train de se passer avec un déplacement de la « focale » ministérielle sur le centre-gauche. Au point que ce sont les députés LR qui regrettent cette occasion d’avoir renforcé l’instabilité par l’abandon du Gouvernement Lecornu. Car une nouvelle dissolution serait encore plus dramatique pour la droite LR, qui risque de perdre des députés et qui a besoin de voix, surtout quand ce sont celles du bloc central.

D’où, sans complètement le dire, la perspective selon laquelle le RN pourrait être cet « apporteur » avec l’idée que l’on pourrait s’en rapprocher si la page du bloc central était définitivement tournée. C’est l’autre scénario qui peut se dessiner pour les Républicains qui, à défaut de s’arrimer à un « socle commun » agonisant, seraient contraints de rejoindre Marine Le Pen.

En effet, il devient impossible de créer un quatrième bloc autonome – les LR – en plus des trois blocs actuels. La seule façon d’exister est de se rattacher à un bloc préexistant, ce qui fut le choix d’Éric Ciotti en juin 2024. Bref, le jeu des plaques tectoniques continue, mais dans la plus grande confusion. Et surtout sans cap et sans chef identifié.

Il y a enfin la liquéfaction de l’ex-majorité présidentielle avec des partenaires qui appellent même à la démission d’Emmanuel Macron (!), à l’instar d’Édouard Philippe, ou qui vont dénoncer le caractère incompréhensible des décisions du président de la République, comme Gabriel Attal. On n’est jamais mieux trahi que par les siens… Sans parler du comportement de Bruno Le Maire, l’homme par qui le scandale arrive et qui n’a pas compris que ses ambitions se conjuguaient mal avec une image désastreuse au regard des finances publiques.

Le gauchissement de la Macronie, bien réel, rappelle en partie la situation de 2017. Mais avec un Macron triomphant en moins, quand LREM avait siphonné une partie des électeurs à gauche. À l’époque, Les Républicains avaient mieux résisté que le PS. C’est aussi un retour à une case-départ, mais avec le détricotage possible de certaines mesures comme la réforme des retraites, dont Élisabeth Borne a admis qu’elle pouvait être suspendue. Le risque réel est de se retrouver avec des mesures totems de la gauche (taxe Zucman, etc.) acceptées sur l’autel d’une stabilité qui ne serait pas pour autant garantie.

Jean-François Mayet

Politologue

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