Les Français et l’État : un problème déjà ancien
Deux écrivains ont dominé la pensée politique, sociale et économique du XIXe siècle, au point de formuler des observations qui se confirment aujourd’hui et expliquent les comportements de nos contemporains.
Ces écrivains ont vécu exactement à la même époque. Ce sont Alexis de Tocqueville (1805-1859) auteur de « la Démocratie en Amérique et Frédéric Bastiat (1801-1850) auteur des « Sophismes économiques ».
Tous deux ont identifié les travers caractéristiques des Français. Mais bien que ces travers aient été révélés il y a près de deux siècles, ils se sont encore exacerbés de nos jours !
Tocqueville a retenu que les Français préfèrent l’égalitarisme à la liberté. Bastiat a observé que les Français se tournent en permanence vers l’Etat pourrésoudre leurs problèmes sans se rendre compte que leur problème, c’est l’Etat.
Il en donne une brillante illustration dans ses « Sophismes économiques » (2e série), publiés en 1848, d’où est extrait le texte suivant.
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La véritable et équitable loi des hommes, c’est l’échange librement débattu de service contre service..
La spoliation consiste à biaiser par force ou par ruse la liberté du débat afin de recevoir un service sans le rendre.
La spoliation par la force consiste à attendre qu’un homme ait produit quelque chose et qu’on le lui arrache.
Elle est formellement condamnée par le Décalogue : Tu ne prendras point le bien d’autrui. Cette spoliation se nomme le vol et mène à la prison.
Une autre forme de spoliation, par la ruse cette fois, s’appelle fraude commerciale. S‘en rend coupable le marchand qui altère la denrée ou raccourcit l’étalon de mesure, le médecin qui se fait payer des conseils funestes, l’avocat qui embrouille les procès, etc… Dans l’échange entre deux services, l’un est de mauvais aloi.
Vient ensuite l’abus des services publics, champ immense de spoliation !
Si l’homme était un animal solitaire, chacun ne travaillerait que pour soi. La richesse individuelle serait en proportion des services que chacun se rendraità soi-même. Mais l’homme étant sociable, les services s’échangent les uns contre les autres.
Il y a dans la société des besoins tellement généraux que ses membres y pourvoient en organisant des services publics.
Tel est le besoin de sécurité. On se concerte pour rémunérer ceux qui rendent le service de veiller à la sécurité commune.
Il n’y a rien là qui soit en dehors de l’économie politique. L’essence de la transaction est la même, le procédé de rémunération, seul, est différent, mais cette différence a une grande portée.
Dans une transaction ordinaire, chacun reste juge, soit du service qu’il reçoit, soit du service qu’il rend. Il peut toujours refuser l’échange ou le faire ailleurs, d’où la nécessité de n’apporter sur le marché que des services qui seront acceptés sans contrainte par d’autres.
Il n’en va pas ainsi avec l’Etat. Que nous ayons besoin ou non de ses services, qu’ils soient de bon ou de mauvais aloi, nous devons les accepter tels qu’il les fournit et les payer au prix qu’il exige.
Dans les transactions privées, nous avons la garantie du prix débattu. Or cette garantie, nous ne l’avons pas dans les transactions publiques. L’Etat veutnous servir beaucoup, nous servir plus que nous ne voulons, et nous faire agréer comme service vrai ce qui quelquefois est loin de l’être, et pour cela il va nous imposer en retour des contributions.
L’Etat tend à dépasser le niveau de ses moyens d’existence, il grossit en proportion de ces moyens, et ce qui le fait exister, c’est la substance des peuples. Malheur donc au peuple qui ne sait pas limiter la sphère d’action de l’Etat.
Liberté, activité privée, richesse, bien-être, indépendance, dignité, tout y passera.
Aussi , depuis les temps historiques, s’est exercée la spoliation par abus et excès du gouvernement.
On a inventé le gouvernement représentatif, et on aurait pu croire que le désordre allait cesser. En effet le principe du gouvernement représentatif est : « La population elle-même, par ses représentants, décidera de la nature et de l’étendue des fonctions qu’elle juge à propos de constituer enservices publics, et la quotité de la rémunération qu’elle entend attacher à ces services. »
La tendance à s’emparer du bien d’autrui et la tendance à défendre son bien étant ainsi mises face à face, on pouvait penser que la seconde surmonterait la première. Or cela n’a pas été le cas. Pourquoi ?
Les gouvernements agissent avec un plan constamment perfectionné par l’expérience.
Ils s’offrent à guérir tous les maux de l’humanité. Ils relèveront le commerce, feront prospérer l’agriculture, développeront les fabriques, encouragerontles lettres et les arts, extirperont la misère, etc… Il ne s’agit en fait que de créer des fonctions et de payer des fonctionnaires pour les gérer.
En un mot la tactique consiste à présenter comme services effectifs ce qui en réalité n’est qu’ habillage..
Ainsi la nation paye non pour être servie, mais asservie. Les gouvernements finissent par absorber une part énorme de tous les revenus. Le peuple s’étonne de travailler autant, d’entendre annoncer des innovations merveilleuses qui doivent à l’infini multiplier les avantages et d’être toujours Gros Jean comme devant !
Cependant les choses vont de mal en pis. Le peuple ouvre les yeux, non sur le remède – mais sur le mal. Les conseillers du peuple (qui aspirent àgouverner) ne cessent de lui dire : « Nous voyons tes souffrances et nous les déplorons. Mais donne- nous le pouvoir car il en serait autrement si nous te gouvernions. »
Certaines nations paraissent prédisposées à devenir la proie de la spoliation gouvernementale. Ce sont celles où les hommes se croiraient perdus s’ils n’étaient administrés et gouvernés en toutes choses. Dans un tel pays les gouvernements peuvent changer, mais les gouvernés n’en seront pas moins spoliés à merci.
Commentaires
Outre la rigueur de la démonstration, le côté remarquable de cette étude est son caractère prémonitoire. Ce texte a été publié en 1848, alors que les dépenses publiques en France étaient inférieures à 10% du PIB.
Elles atteignent aujourd’hui 57% du PIB, ce qui signifie que les forces vives du pays sont en grande partie détournées des activités productrices de richesses pour être absorbées dans des procédures administratives, peu rentables, voire pas rentables du tout.
Les économistes américains de l’école du Public Choice ont analysé comment le système est alimenté :
– par les hommes politiques qui se font élire et réélire en accordant des avantages à des groupes ciblés (leur clientèle électorale), et en répartissant lecoût de ces mesures sur le plus grand nombre possible de contribuables, afin d’en rendre le coût individuel plus indolore ;
- par les responsables administratifs qui poussent leurs ministres « à en faire plus », car toute nouvelle activité accroît leur importance, justifie l’affectation « de plus de moyens », et leur procure une augmentation de salaire ou une promotion. (C’est pour éviter tout conflit d’intérêt entre action politique et action administrative que la loi britannique oblige un fonctionnaire à quitter la fonction publique avant d’exercer un mandat électif.)
On pourrait croire les Français saturés d’une indigestion de l’Etat. Or ils en redemandent !
Même les partis qui parlent de réduire la dépense publique proposent « des actions ciblées » dans des secteurs-clés pour relancer la recherche, améliorer l’enseignement, développer le logement social, etc.
Les Français, dans leur majorité, sont d’accord avec la formule « l’Etat peut, l’Etat doit ».
Or les principales activités de l’Etat ne produisent pas de richesses – et souvent en consomment.
Le pays devient non compétitif. Au déficit des comptes publics s’ajoute le déficit commercial, et c’est ainsi que s’enclenche le mécanisme diabolique qui nous conduit inexorablement à la faillite !
Les Français sont incorrigibles et inconscients. Au lieu de se retrousser les manches, ils comptent sur l’aide d’un Etat en faillite. Quand sonnera l’heure des comptes, ils n’auront plus que leurs yeux pour pleurer.
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