Revenir au système d’avant 1973 pour réinvestir
L’opinion publique et surtout médiatique rappelle constamment à Michel Barnier quatre enjeux à prendre en compte dans sa future action gouvernementale :
– l’immigration,
– la sécurité,
– le pouvoir d’achat et, pour certains, les retraites,
– la dette.
Ce dernier enjeu commence à devenir prégnant en raison de l’importance de la dette publique française. En 2024 elle se monte à 3159,7 milliards d’euros, soit 110,7 % du PIB.
Récemment, de nombreuses voix se sont élevées pour sonner le tocsin. L’une d’elles, celle du ministre démissionnaire de Bercy, ne manquait pas de cynisme politique puisqu’ il est responsable de l’accroissement de la dette de près de 1000 milliards depuis 2017… plus l’esbroufe est grosse, plus ça passe !
Les services de Bercy proposent d’effectuer en trois années 110 milliards euros d’économie dans les budgets de l’État – budget général et de la sécurité sociale. Cette coupe est de nature à faire entrer la pays dans une déflation qui aggraverait les recettes de l’État.
Mais comment résoudre ce défi ?
Il est indéniable que l’accroissement de l’endettement ne peut durer, et met en jeu la crédibilité de la France.
« Les créanciers ont meilleure mémoire que les débiteurs. » (Benjamin Franklin)
La solution est-elle de pratiquer des économies drastiques pour réduire la dette ? Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France, dans un article du Figaro ( 7-8 septembre 2024) estime qu’il est possible de trouver 200 milliards d’euros en 10 ans : maintien de la retraite à 64 ans, réduction de 12 milliards du coût de l’apprentissage, du nombre des fonctionnaires (non remplacement des départs à la retraite : 75 milliards), révision du millefeuille territorial. On est encore très loin du remboursement total de la dette…
Doit-on ainsi mettre en œuvre une approche comptable de la dette ou est-il possible de concevoir une autre politique pour maitriser et rembourser la dette? Il convient de trouver une solution d’économie politique
« On ne peut diviser l’économie de la politique sans démembrer la partie principale du tout. » (Alain Peyrefitte)
Mario Draghi vient de remettre un rapport à la présidente de la Commission qui comporte deux vérités : l’Europe est en panne d’investissements et se doit de trouver 800 milliards d’euros par an, elle doit aussi assouplir ses règles de concurrence afin de constituer des entreprises de taille mondiale.
Mario Draghi a parfaitement raison de souligner la faiblesse des investissements en Europe. J’ai personnellement à plusieurs reprises souligné la faiblesse des investissements en France qui s’élèvent à 3% des dépenses publiques sur un total de 1000 milliards. J’ai dénoncé aussi l’absence d’une réelle politique industrielle reléguée au Titre XVII du TFUE en un seul article (l’article 173 – qui somme les États d’adapter l’industrie aux règles de la concurrence).
Pour investir, Mario Draghi propose que l’Union européenne soit assurée par un financement commun, c’est-à-dire des emprunts effectués par l’UE. Ursula von der Leyen souhaite que ce financement commun puisse être assuré par des contributions nationales supplémentaires ou par des taxes européennes.
Mario Draghi est parfaitement dans sa cohérence politique : il a toujours prophétisé « un fédéralisme financier » pour l’Europe. Or, c’est aujourd’hui d’une totale utopie au regard de la position des États membres qui prônent très largement une action intergouvernementale de l’UE, sans création de ressources supplémentaires; à l’exception d’Emmanuel Macron qui pratique la fuite en avant en voulant que l’UE emprunte. Il s’appuie sur le précédent lors du COVID, accepté du bout des lèvres par l’Allemagne, la Chancelière indiquant que c’était justifié par la situation sanitaire. On n’y reviendra pas !
De plus, il est certain que des emprunts par l’UE sont contraires aux traités, l’UE disposant de compétences attribuées par les États : « En vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. » article 5-2 du Traité sur l’UE.
La très grande majorité des États membres savent pertinemment qu’ils devront rembourser les emprunts communs au prorata de leurs contributions respectives au budget de l’UE. Emmanuel Macron s’est gardé de dire aux Français que la France allait payer bien davantage que ce qu’elle a perçu de l’emprunt Covid.
L’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas ne sont pas dupes. La proposition de Mario Draghi est donc fortement décalée par rapport à la géopolitique européenne et largement irréaliste.
« Si l’on investit pas sur le long terme, il n’y a pas de court terme. » (Georges David, industriel américain)
« Les investissements d’aujourd’hui sont les profits de demain et les emplois d’après-demain. »(Helmut Schmidt)
Mais il demeure que l’UE et surtout la France doivent retrouver le chemin des investissements qui sont aujourd’hui atones !
Comment ?
La IVe République et le début de la Ve jusqu’en 1973 ont pu redresser le pays grâce à des investissements massifs financés par des avances de la Banque de France au Trésor de l’État. Ces avances ont été souvent critiquées comme étant l’une des causes de l’inflation, certes, mais elles ont permis des investissements importants qui ont assuré une croissance bénéfique à tous les Français. Douce époque des Trente Glorieuses, 1945-1973, c’est aussi le temps du plan Marshall avec le « baby-boom ». Ces avances n’ont guère été remboursées, disparaissant dans l’inflation.
Au traité de Maastricht, les Allemands ont exigé que les avances soient supprimées; Berlin garde en mémoire les années terribles de l’inflation galopante qui a entraîné dans sa chute la République de Weimar et l’arrivée au pouvoir de Hitler. Le traité de Lisbonne a repris cette stipulation et interdit le système des avances.
Article 123 du Traité du Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) adopté par le Traité de Lisbonne stipule : « Il est interdit à la Banque centrale européenne ( BCE ) et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »
Une question fondamentale se pose aujourd’hui: peut-on continuer à respecter cette règle alors que la situation est catastrophique et dangereuse ? Couper sans relâche dans les budgets provoquera la déflation et la colère du peuple qui va se révolter.
« On ne sort pas d’une situation de dette excessive en pratiquant seulement l’austérité. » (George Soros)
Certains vont plaider pour le respect de la règle au nom du « pacta sunt servanda », principe de base du droit des traités, acté depuis des lustres par le droit international et la convention de Vienne (1969); les Conventions et autres traités ont force de loi et doivent être exécutées de bonne foi par les Parties signataires.
Mais le droit international édicte aussi une autre règle, « Clausula Rebus sic Stantibus ». Les traités ne restent applicables que pour autant que les circonstances qui ont justifié leur conclusion demeurent ; la clause a été reprise par la convention de Vienne sur les Traités, à son article 62.
Le Général de Gaulle, au fait des réalités internationales et fort réaliste, ne disait-il pas ironiquement : « Les traités, voyez-vous, sont comme les jeunes filles et les roses : ça dure ce que ça dure. »
En termes simples, il est urgent de retrouver le système des avances pour investir massivement. Il fut un temps où les investissements publics représentaient 25 % de la dépense publique; il convient d’y revenir pour sortir du trou. A défaut, la France va à la catastrophe sociale et politique, ce qui ne sera dans l’intérêt ni de Berlin ni de Bruxelles !
« Le malheur de l’homme est qu’il a une âme de comptable. » (Zoé Oldenbourg)
Il est temps d’en sortir : « la fin justifie les moyens » d’après Philippe de Commynes,1447-1511
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