1920 : Jacques Bainville explique Hitler et la Deuxième Guerre Mondiale
Et les peuples ne comprendront même pas pourquoi ils auront encore à payer un jour.
En 1920, l’historien Jacques Bainville explique les conséquences de la paix à Versailles, ce plus incongru amoncèlement de sottises et d’inconséquences technocratiques et diplomatiques, digne ancêtre de l’Europe de Bruxelles, de sa monnaie unique et de la diplomatie du printemps arabe.
Avec une habileté et une précision qui relèvent de la magie, ce dialecticien de l’Action Française annonce tout ce qui va se passer de 1934 à 1945, et au-delà ; sa lucidité est à méditer à une époque où notre activisme renforce partout l’islamisme sur notre sol et en Méditerranée. Mais ce n’est pas Bainville qui arrêtera les Juppé et autres Fabius : ce sera le prochain juin 40.
Bainville cite d’abord le bouquin irresponsable de Keynes sur les conséquences économiques de la paix ; puis il voit surtout le maintien d’une Allemagne forte encore de soixante millions d’hommes (il aurait préféré un rétablissement du système des petites et moyennes royautés allemandes, tel qu’il subsista jusqu’à l’unité allemande) et frustrée :
Accroupie au milieu de l’Europe comme un animal méchant, l’Allemagne n’a qu’une griffe à étendre pour réunir de nouveau l’îlot de Königsberg. Dans ce signe, les prochains malheurs de la Pologne et de l’Europe sont inscrits.
La démocratie allemande (on sait que pour l’ami de Bainville, Maurras, Hitler est ontologiquement un démocrate) est plus dangereuse que le maillage des royaumes (Gustave Le Bon fait alors remarquer que l’Allemagne fin 18 retourne naturellement à ses divisions ancestrales, qu’on n’a donc même pas à la forcer : voyez la Bavière). Mais c’est faire fi de nos idéalistes :
L’Entente ne voulut pas distinguer. Elle exigea des peuples allemands une révolution intégrale. Elle exigea partout la démocratie. Ce fut le salut de l’unité allemande.
Démocratie ici aussi périlleuse que celle des rebelles du printemps arabe… Bainville prévoit déjà la guerre en Pologne. Il a aussi senti que les Allemands n’ont en rien retenu la leçon de leur défaite, d’ailleurs pas assez nette pour être effectivement retenue (elle le sera plus en 45 !)
L’expérience les a à peine instruits et on les sent prêts à recommencer leurs fautes, même leurs fautes militaires, dans la conviction que ce n’est pas leur intelligence qui les a trahis, mais les événements, et que, dans d’autres circonstances, ce qui n’a échoué que par hasard réussira.
Les événements : c’est le coup du fameux coup de poignard dans le dos, d’ailleurs pas si infondé que cela. Puis Bainville voit que les énergiques et entreprenants allemands ne voudront pas payer les réparations… et qu’ils attendront un führer. Mais oui :
Pendant plus d’une génération, les Allemands devront payer tribut aux Alliés. Ils devront payer le tribut principal aux Français qui sont un tiers de moins qu’eux : quarante millions de Français ont pour débiteurs soixante millions d’Allemands… Au moins que ces millions de créatures ne fussent pas attachées au même boulet, avec un seul gouvernement, peut-être demain un seul chef, pour les dresser à briser leur chaîne.
Dans Mein Kampf, Hitler écrit que par la république de Weimar, le Reich est devenu une colonie au service de l’étranger. Les allemands seront d’accord. Mais poursuivons. Le système des petits pays multiculturels est désastreux. Et Bainville voit déjà ce que fera, ce que décidera Hitler à partir de 1938, et il prévoit même que la Tchécoslovaquie ne fera pas la guerre :
Il y a trois millions d’Allemands en Bohême. Une guerre avec l’Allemagne serait le suicide de la Tchécoslovaquie. Une extrême prudence est ordonnée au gouvernement de Prague. Et la prudence s’appelle neutralité. Et la neutralité inconditionnelle, absolue, s’appelle bientôt l’assujettissement.
Plus au sud, c’est pis. Voilà l’Autriche, un morceau d’Allemagne authentique. Elle seule est détachée de l’unité allemande…
Bainville constate aussi la situation misérable des Sudètes et ce qu’elle entraînera de la part des Allemands :
À portée de sa main, l’Allemagne a désormais ces millions de frères pauvres et nus, réduits à une situation politique et géographique paradoxale. Là encore, pour 60 millions d’Allemands, la tentation est trop forte. L’appel à l’avenir est trop évident.
Les États créés par Versailles et le très démagogique principe des nationalités finiront tous dans la mâchoire d’Hitler et de Staline ; Bainville en dresse la liste avec précision !
Ces nouveaux Etats se sont détachés ou ils ont été détachés de l’empire russe et de l’empire austro-hongrois. Ce sont, du nord au sud, la Finlande, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Tchécoslovaquie.
Même leurs frontières ne sont pas défendables :
Comme la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie sont tout en longueur. Par rapport à leur étendue, le développement de leurs frontières est excessif et, par conséquent, la défense en est extrêmement difficile. Près de la moitié de la Grèce ne sera qu’un littoral, une bande côtière.
Puis Bainville s’occupe de la question adriatique. Il prévoit l’issue de la Yougoslavie. L’Italie, elle, attend son Duce comme l’Allemagne son « chef », pardon son führer :
Mais l’amitié italienne a été compromise sans contrepartie et pour le néant… Aujourd’hui les nerfs du peuple italien sont malades. Ils n’ont pas résisté aux efforts de la guerre suivis des désillusions de la paix.
Et surtout l’Italie trahie par les Alliés est prête pour l’alliance avec l’Allemagne :
Mais l’amitié italienne a été compromise sans contrepartie et pour le néant.
Après, les analyses de Bainville confinent au génie (c’est du niveau de la conclusion des Mémoires d’outre-tombe). Il est vrai qu’il s’aide de deux grands esprits français du siècle écoulé, Michelet et Renan. Cela a trait à la guerre d’Hitler contre le monde slave, guerre qui passe par une entente sur la question polonaise : Bainville annonce même que l’URSS prendra à revers la Pologne attaquée par l’Allemagne !
Il en serait exactement de même si la Pologne était un jour attaquée par les Allemands, la Russie étant prête à profiter de son désastre et à la poignarder par derrière.
Mais le fond du problème est la récente crainte allemande d’être submergée par la démographie slave, une démographie qui devient asiatique pour le coup ! Il cite Renan écrivant à David Strauss :
« Le nombre des Slaves est double du vôtre », disait-il à celui qu’il appelait encore son savant maître. « Et le Slave, comme le dragon de l’Apocalypse, dont la queue balaye la troisième partie des étoiles, traînera un jour après lui le troupeau de l’Asie centrale, l’ancienne clientèle des Gengis-Khan et des Tamerlan. »
Comme dans la propagande national-socialiste, les peuples russes et slaves, avec leurs millions de blonds (que relèvera Léon Degrelle au cours de l’opération Barbarossa), vont être confondus avec les hordes mongoles et ces nouveaux Tartares qui inspireront Buzzati dans son célèbre roman :
La Russie, qui communique avec les plaines, les fleuves et les mers asiatiques, plus qu’à demi asiatique elle-même, pouvait un jour embrigader les Tartares et les Mongols, les ramener contre ses adversaires européens… Elle le pouvait, mais elle pouvait encore s’identifier avec cette Asie. Au lieu de diriger et de conduire les Mongols, elle pouvait être mongolisée.
Je donne à titre d’explication ces lignes de l’écrivain nazi (et non plus fasciste en 1942) Lucien Rebatet, tirées de ses Décombres si francophobes et anti-maurrassiens :
Le bolchevisme judéo-asiatique, tel qu’il n’a cessé d’être pratiqué et répandu, avec son esclavage militaire, son anéantissement de toute vie spirituelle, son abrutissement physique des individus, est le plus épouvantable retour à la barbarie que le monde ait connu depuis la chute de Rome.
Bainville regrette au passage le désastreux effet du racisme européen, depuis Gobineau et surtout le monstrueux anglais Chamberlain, sur notre vieux continent :
Il n’est pas impossible que l’idée de race travaille encore le vieux monde. Mais il n’est pas certain que ce soit dans le sens désiré. Il n’est pas certain que ce soit dans un sens favorable à la paix… Du jour où l’idée de race a été jetée dans la circulation européenne datent les plus atroces convulsions de notre humanité.
Le traité était donc fait (par des provocateurs ? par des imbéciles ? par les deux ? à comparer avec la socialisation et l’islamisation de l’Europe et de notre diplomatie) pour déchaîner à terme les Allemands maintenus dans la force de leur unité alors si périlleuse :
Quant aux passions, passions nationales, passions humaines, instincts naturels et animaux du peuple allemand, le traité contient tout ce qu’il faut pour les surexciter.
Car comme s’il avait vu Alexandre Nevski d’Eisenstein, Bainville voit le retour germanique au mythe fondateur des conquêtes médiévales :
C’est la nature même de la Prusse, pays de colonisation et de conquête, qui a créé le militarisme prussien. Les chevaliers de l’Ordre teutonique ont précédé les Hohenzollern.
On comprend pourquoi Bainville ne faisait pas partie de la délégation française à Versailles : cela eût évité la deuxième guerre mondiale ! On comprend aussi que les mêmes erreurs romaines reproduiront les mêmes effets avec l’islamisme et le tiers-mondisme à domicile; ce que Bainville nomme la fatigante monotonie de l’Histoire.
Comments (2)
@GODICHEAU
Vous connaissez un seul gouvernant qui ne fut un démagogue, allez chercher bien… Un seul de nos publicistes ou chefs de bandes qui montrât exemple ?
Article difficile.
Une question se pose cependant: comment la France en vient toujours à ces effondrements moraux, malgré les leçons de l’Histoire?