Céline, Paul Valéry, et la nation comme programmation mentale
C’est tout à fait ça ! Mourons tous pour ça ! Il ne demande jamais qu’à mourir le peuple !
Céline, le Voyage
Patrick McGoohan est connu pour le Prisonnier, même si comme tous les gourmets je préfère la série Destination danger. Il y a un épisode, la colonie trois, où l’espion est envoyé dans un village d’espions où l’on apprend à être Anglais. L’un des sinistres chefs de ce village lui explique alors qu’il n’y a pas de nation, que tout est lié à la géographie, au timbre-poste, à des leçons apprises. Bref, la nation est une notion, la nation est le fruit d’une programmation mentale. On se demande d’ailleurs ce que viendrait faire à Londres aujourd’hui un espion déguisé en citoyen de l’empire britannique. On le prendrait pour un Dupont déguisé en evzone ! Moins de la moitié de cette population londonienne est aujourd’hui britannique et comme me disait Jean Parvulesco avant sa mort, vous n’avez rien vu !
Le début du XXème siècle avait été marqué par une énorme et dévastatrice vague de nationalisme : cette vague donna le tsunami des deux guerres mondiales qui succédait à la guerre de 1870 et à la volonté française de récupérer l’Alsace-Lorraine. Comme je l’avais dit dans mon livre sur le coq hérétique et l’exception française, la nation n’était pas une volonté de vivre, mais de mourir ensemble. Le nationalisme devenant (comme l’antisémitisme) un genre littéraire qui servait à programmer les esprits en vue d’une guerre perpétuelle appuyée aussi sur le darwinisme de l’époque (seuls les plus forts survivent).
Aujourd’hui nous en sommes à une autre donne : la nation est déprogrammée par le mondialisme marchand et le capitalisme entrepreneurial, qui s’appuie sur la fantastique vague migratoire et la volonté d’aboutir à l’unité du genre humain, comme disait déjà Chateaubriand.
Au XIXème siècle, par contre, on a appris au paysan l’histoire de « son pays » (alors qu’il n’était jamais sorti de son village et ne savait que son patois) et c’est grâce à cette programmation mentale « par les philosophes » et surtout les instituteurs de la IIIème république maçonnique (je le dis sans aucune acrimonie) qu’on a pu l’envoyer se faire tuer sur tous les champs de bataille. Aujourd’hui on nous traite physiquement moins mal (Tocqueville, toujours, mais après pas mal de guerres !), mais on nous programme toujours autant : nous sommes des bipèdes non déterminés (cf. Peillon), des citoyens du monde, des immigrés qui s’ignorent ou qui se sont oubliés, et de futurs transhumains de toute manière. C’est dans cette perspectives de programmation et de reprogrammation mentale qu’il faut interpréter les décisions sur le mariage gay. L’instinct maternelle n’existait pas au XVIIIème siècle, expliquait Elisabeth Badinter, puisque l’on envoyait les nourrissons se faire allaiter à la campagne et que le tiers déjà de ces bébés mouraient en route.
Les charniers du siècle dernier ont ainsi été la conséquence de l’histoire et de la philosophie.
Je ne caricature évidemment rien et il se trouve que de bons esprits parfois très différents ont déjà fait les mêmes remarques. Je pense bien sûr à Paul Valéry et à ses Regards sur le monde actuel qui valent bien plus que ses civilisations qui sont mortelles. Valéry écrit dans sa prose impeccable :
L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines.
Il est de notoriété publique que les tyrans sont des amateurs d’histoire, surtout les nouveaux tyrans démocratiques de l’époque romantique et nationaliste. Car on trouve dans l’histoire de quoi faire un opium du peuple (qui enivre le peuple), et il est toujours facile de l’interpréter à sa manière. Par exemple depuis les débuts de la mondialisation, on a mis à la mode l’école des Annales et Braudel, pourtant si trivial : mais il s’agit, avant tout, de tout orienter vers les courants d’échange, le commerce, etc., comme dans un poème de Voltaire. Valéry continue puissamment :
L’Histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout.
Que de livres furent écrits qui se nommaient : La Leçon de Ceci, Les Enseignements de Cela !… Rien de plus ridicule à lire après les événements qui ont suivi les événements que ces livres interprétaient dans le sens de l’avenir.
Céline aussi, un esprit légèrement différent, comprend à la même époque que l’on se retrouve à se faire massacrer sur les routes du Nord de la France à cause de l’histoire et de la philosophie :
Et vive aussi Carnot qui organise si bien les victoires ! Et vive tout le monde ! Voilà au moins des gars qui ne le laissent pas crever dans l’ignorance et le fétichisme le bon peuple ! Ils lui montrent eux les routes de la Liberté ! Ils l’émancipent ! Ça n’a pas traîné ! Que tout le monde d’abord sache lire les journaux !
C’est un prof d’histoire un peu déjanté comme on dit, un nommé Princhard qui s’adresse ainsi à Bardamu qui lui laisse un long monologue pour s’exprimer. Princhard parle de la nouveauté de la bataille de Valmy :
Tellement nouveau que Goethe, tout Goethe qu’il était, arrivant à Valmy en reçut plein la vue. Devant ces cohortes loqueteuses et passionnées qui venaient se faire étripailler spontanément par le roi de Prusse pour la défense de l’inédite fiction patriotique…
Les électeurs du Front national ou les nationalistes de tous les pays découvrent incidemment aujourd’hui qu’ils sont les seuls à croire encore à la fiction patriotique. C’est pour cela qu’ils sont méprisés par les médias !
Céline conclut superbement : La religion drapeautique remplaça promptement la céleste. Nous sommes dans les temps post-drapeautiques, si j’ose dire. Mais malgré l’horreur des guerres, nous savons que la grande Europe et le grand Occident sont liés à l’époque de la religion drapeautique. L’Europe de Byron, Beethoven ou bien Pouchkine c’était tout de même autre chose. Depuis, plus rien ou pas grand-chose. On a les Simpson à la place de John Wayne. Une science pas très ambitieuse nous a reprogrammés pour autre chose, des laboratoires et les MIT de tous les pays, pour aimer notre lointain à défaut de notre prochain, pour des temps sans famille, sans patrie et même sans travail. Des temps sans idéal et sans beauté (dans la laideur l’homme dégénère, écrit Nietzsche). On veut bien nous laisser un Dieu à aimer de très loin comme ça. Le futur homme sera une prolongation de son iPod avant de n’être plus rien du tout : une extension de prothèse qui deviendra néant. Nietzsche attendait le surhomme, nous aurons le non-homme. L’individu spirituellement inanimé mais connecté. Mais ce n’est pas bien grave, puisque plus personne ne s’en plaint ou ne s’en rend compte.
Comments (6)
“la nation est déprogrammée par le mondialisme marchand et le capitalisme entrepreneurial[…]”
Ce n’est pas le libéralisme mais le socialisme qui impose l’immigration sans entrave et la préférence étrangère.
Le libéralisme prône le libre commerce, pas la libre immigration.
Tenez des propos identitaires, et vous serez cloué au pilori par des associations subventionnées socialistes, financées avec vos impôts par des élus socialistes, au titre de lois anti-discriminations voulues et votées par des députés socialistes.
Tous gens qui vomissent le libéralisme.
“Au XIXème siècle, par contre, on a appris au paysan l’histoire de « son pays » […] et c’est grâce à cette programmation mentale « par les philosophes » et surtout les instituteurs de la IIIème république maçonnique […] qu’on a pu l’envoyer se faire tuer sur tous les champs de bataille.”
C’était l’Éducation Nationale socialiste, imposée par le pouvoir socialiste après la destruction manu militari de l’éducation catholique – par des moyens abjects qui s’inscrivaient dans la continuation des horreurs révolutionnaires et préfiguraient le nazisme.
Toute cette affaire se ramène donc à la prise en main du magistère moral par la religion socialiste, au moyen de la force publique, dévoyés au service d’une religion séculière.
Tout cela illustre la lucidité surnaturelle du précepte chrétien: Il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César.
L’autorité morale, donc spirituelle, est depuis un siècle entre les mains de l’État, et celui-ci verrouillé par le socialisme. La destruction de la France sera donc totale.
Boff, et quesque ça peut faire, nous ne sommes que des animaux, on est fait comme eux, on ne se rend pas assez compte de cette vérité, étant habitués à vivre avec notre trous du cul. et il parait qu’à l’élisée il y a une odeur indescriptible à cause du cheptel qui y squatte. ( par rapport au mode de scrutin “oui je dit bien que ce cheptel sqatte” ).
Si seulement l’humanité pouvait se réveiller de son long engourdissement, de ce mirage utopique dans laquelle on l’entretient.
Très bon article – Merci.
” l’instinct éternel ” n’éxistait pas au XVIII ième siècle ”
l’auteur veut vraisemblablement parler de l’instinct maternel
A la dernière cérémonie des Césars, c’est le film Amour qui a été consacré comme le chef-d’oeuvre des ces temps crépusculaires. En gros, le spectateur assiste au naufrage d’un couple de grabataires parisiens, à leur dernier souffle, qui n’a rien d’exaltant ni même d’épique. On évoque la prestation des acteurs pour ne pas voir le reste, pourtant aveuglant. Après un siècle d’art dit moderne, qui ne montre que le néant jusqu’à la nausée, de cités dortoirs, de barres HLM, d’hédonisme cafardeux, que reste-t-il ? L’histoire n’a probablement pas de sens, c’est vrai, mais il existe des époques, dominées par des mythes et des valeurs. L’Europe qui va de Sedan à Verdun était inspirée par les leçons spirituelles de l’Antiquité. Puis les orages d’acier ont tout balayé : empires, nations, Lord Jim et Mowgli. Notre époque a ses propres valeurs et aboutira à un désastre moins spectaculaire mais sûrement bien plus définitif. Les Américains ont survécu à leur Civil War, les Européens ont sombré dans leur Grande Guerre. Et cela Paul Valery l’avait parfaitement saisi dès 1919.
nous sommes comme toutes les civilisations l’ont été avant nous dans notre période crépusculaire … ce qui n’est pas une raison pour ceux qui restent éveillés de ne pas se battre … au moins pour eux mêmes