Comment l’Amérique a éliminé le gazoduc Nord Stream (3/4)

Comment l’Amérique a éliminé le gazoduc Nord Stream (3/4)

Notre ami Bernard Martoïa a traduit un article du journaliste américain Seymour Hersh (cet article a été divisé en 4 parties pour faciliter la lecture). Vous pouvez lire la première partie ici et la deuxième ici.

« C’était comme poser une bombe atomique sur le sol à Tokyo et dire aux Japonais que nous allions la faire exploser, » déclara la source. « Le plan prévoyait que les options fussent exécutées après l’invasion de l’Ukraine tout en demeurant secrètes. Biden ne l’a tout simplement pas compris ou ignoré. » Si les indiscrétions de Biden et de Nulland auraient pu frustrer certains des planificateurs, elles créèrent une opportunité. Selon la source, « Certains hauts responsables de la CIA estimèrent que faire exploser le gazoduc ne pouvait plus être considéré comme une option secrète parce que le président venait d’annoncer que nous savions comment le faire. »

Le plan de faire exploser Nord Stream 1 et 2 fut soudainement abaissée d’une opération requérant que le Congrès en fût informé à une opération de renseignement ultra secrète bénéficiant de l’appui de l’armée américaine. En vertu de la loi, expliqua la source, « il n’y avait plus d’obligation légale d’en informer le Congrès. Tout ce qui nous restait à faire, c’était de la mener à bien de manière secrète car les Russes disposent d’une surveillance exceptionnelle de la mer Baltique. » Les membres de l’équipe de la CIA n’avaient pas de contact direct avec la Maison Blanche. Ils étaient impatients de savoir la suite que lui donnerait le président. La source rappela, « Bill Burns est revenu et leur a dit : Allez-y les gars ! »

L’OPÉRATION

 

La Norvège était le lieu idéal pour la couverture de la mission. Au cours des dernières années de crises entre l’Ouest et l’Est, l’armée américaine renforça considérablement sa présence en Norvège dont la frontière occidentale longe l’Océan Atlantique sur 2200 kilomètres avant d’être commune avec la Russie au-dessus du cercle polaire.

Le Pentagone créa des emplois et des contrats bien rémunérés, nonobstant une controverse locale, en investissant des centaines de millions de dollars dans la modernisation et l’agrandissement des installations de la marine et de l’armée de l’air américaine en Norvège. Parmi ces investissements, il y eut notamment la livraison d’un radar, dans le grand nord, capable d’observer en profondeur le territoire russe. Il fut mis en service juste au moment où le renseignement américain perdit l’accès à des sites d’écoute à grande distance en Chine.

Une base américaine de sous-marins fut rénovée et agrandie. Il en résulta que davantage de sous-mariniers américains travaillèrent en étroite collaboration avec leurs collègues norvégiens pour surveiller et espionner une redoute nucléaire russe, à 400 kilomètres à l’Est, dans la péninsule de Kola. L’Amérique agrandit une base aérienne norvégienne dans le grand nord. Elle livra à l’armée de l’air norvégienne une escadrille d’avions de reconnaissance Boeing Poséidon P8 pour augmenter son rayon d’action.

Par ricochet, le gouvernement norvégien suscita la colère des libéraux et de certains modérés au parlement en modifiant sensiblement l’accord de coopération en matière de défense. En vertu de cet avenant, le système juridique américain deviendrait compétent dans certaines zones convenues du Nord pour juger des crimes commis par des soldats américains, ainsi que pour juger des Norvégiens accusés ou suspectés d’interférer dans le travail sur une base. (1)

La Norvège fut l’un des premiers États membres à ratifier le traité de l’Alliance Atlantique Nord. Actuellement, le commandant suprême de l’OTAN est Jens Stoltenberg, un anti-communiste notoire. Il a occupé le poste de premier ministre de Norvège pendant huit années avant d’être promu à l’OTAN avec l’appui des Américains, en 2014. C’est un faucon qui coopère avec la communauté du renseignement américain depuis la guerre du Vietnam. C’est un homme sur qui l’Amérique peut compter. « C’est le gant du poing américain, » dit la source.

A Washington, les planificateurs savaient qu’ils devaient se rendre en Norvège. « La marine norvégienne regorge de plongeurs ayant une grande expérience des plateformes de forage en haute mer, » dit la source. Autre avantage, ils savent garder le secret d’une mission qui leur est confiée. [La Norvège avait un intérêt lucratif à participer à cette opération. La destruction des gazoducs russes augmenterait considérablement ses ventes gazières et pétrolières aux Européens]

Dans le courant du mois de mars 2022, des membres de l’équipe se rendirent en Norvège pour rencontrer leurs homologues du renseignement ainsi que ceux de la marine. Parmi les questions en suspens, il s’agissait de déterminer le meilleur endroit possible pour placer les explosifs. Nord Stream 1 et 2, chacun avec ses deux gazoducs, n’étaient séparés que par un peu plus d’un kilomètre en direction du port de Greifswald, au nord-est de l’Allemagne.

La marine norvégienne ne tarda pas à trouver un endroit convenable dans les eaux peu profondes de la mer Baltique, à quelques kilomètres de l’île de Bornholm au Danemark. La profondeur de 80 mètres serait à la portée des plongeurs embarqués sous la couverture d’un dragueur de mines norvégien Alta Class. (2) Leur mission était de plonger avec des bonbonnes contenant un mélange d’oxygène, de nitrogène et d’hélium. Une fois parvenus au fond, ils devaient placer des charges d’explosifs C4 (3) sur les quatre gazoducs à l’aide de couvercles de protection en béton. C’était un travail fastidieux, chronophage et dangereux. Toutefois, les eaux au large de l’île de Bornholm avaient un autre avantage. Il n’y avait ni fort courant marin ni forte marée susceptible de compliquer leur tâche.

Après quelques recherches de leur côté, les Américains acceptèrent la proposition norvégienne. Ce fut à ce moment-là que l’obscur groupe de plongeurs marins de Panama City entra dans la danse. Ces plongeurs qui ont participé à l’opération Ivy Bells, sont snobés par l’élite formatée à l’académie navale d’Annapolis au Maryland. Elle considère Panama City comme une relégation en troisième division. Si l’on doit devenir une « chaussure noire, » c’est-à-dire un membre d’un navire de surface, autant servir à bord d’un destroyer, d’un cuirassé ou d’un bateau amphibie. La plus indigne affectation est à bord d’un dragueur de mines.

Les plongeurs de Panama City n’apparaissent jamais dans les films d’Hollywood ou sur les couvertures de magazines. « Les plongeurs en eau profonde forment une communauté soudée. Seulement les meilleurs ont été recrutés pour l’opération et on leur a demandé de se préparer à être convoqué par la CIA, » dit la source.

Les Norvégiens et les Américains avaient trouvé le lieu et le mode opératoire mais il restait encore un autre problème en suspens. Une quelconque présence dans les eaux de Bornholm pouvait attirer l’attention d’un navire militaire danois ou suédois qui aurait immanquablement donné l’alerte. Le Danemark a été l’un des premiers pays à ratifier la charte de l’OTAN. Son service de renseignement coopère étroitement avec celui des Britanniques. De son côté, la Suède a présenté sa candidature à l’OTAN. Elle a démontré ses grandes qualités à détecter la présence de sous-marins russes patrouillant dans l’archipel aux abords de Stockholm et qui sont parfois contraints de remonter à la surface.

Les Norvégiens se joignirent aux Américains pour insister sur le fait que des diplomates danois et suédois fussent informés, en des termes vagues, d’une éventuelle plongée dans la zone… De cette manière, une personne plus haut placée pouvait intervenir et empêcher qu’un rapport ne fût transmis à la chaîne de commandement. « Ce qu’on leur disait et ce qu’ils savaient étaient différents, » me dit la source. [L’ambassade de Norvège à Washington, invitée à commenter cette histoire, n’a pas répondu]

Les Norvégiens jouèrent un rôle clé dans la résolution d’autres obstacles. La marine russe est connue pour exercer une redoutable surveillance capable de détecter et de déclencher des mines sous-marines. Les engins explosifs américains devaient être camouflés de telle sorte qu’ils fondissent dans le décor naturel. Cela nécessitait une adaptation à la moindre salinité de la mer Baltique. Les Norvégiens avaient une solution. …

Les Norvégiens avaient aussi une réponse à la cruciale question de la date de l’opération. Depuis 21 ans, la sixième flotte américaine, basée à Gaeta en Italie, au sud de Rome, organise un exercice majeur de l’OTAN dans la mer Baltique, auquel participent des navires alliés de la zone. L’exercice qui s’est tenu, en juin 2022, porte le nom de code BALTOPS 22. Les Norvégiens dirent que c’était la couverture idéale pour poser les mines.

***

Sources

  • L’extra-territorialité de la juridiction américaine n’est pas une nouveauté. L’accord de défense entre le Japon et les États-Unis de 1960 a empêché la justice japonaise de faire comparaître des soldats américains accusés de crimes. En raison du tollé provoqué par le viol d’une japonaise par trois marines à Okinawa, en 1995, le gouvernement américain a été contrait d’amender cet accord de défense. Désormais, les soldats américains accusés de crime sont susceptibles de comparaître devant un tribunal japonais. Cela reste à voir….

https://en.wikipedia.org/wiki/1995_Okinawa_rape_incident

Cette extra-territorialité confère de facto une immunité juridique aux soldats américains en poste à l’étranger. Ce statut juridique privilégié s’apparente à celui des diplomates sauf que ces derniers sont couverts par la convention de Vienne de 1961 régissant les relations diplomatiques, laquelle a été ratifiée par tous les pays.

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Comments (1)

  • quinctius cincinnatus Répondre

    Toujours pas de ” commentaires ” , c est à dire de démenti indigné de la part de Guy Millière ?

    20 septembre 2023 à 16 h 45 min

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