Marine ou l’écueil de la dernière ligne
Pour le RN, les deux années à venir devaient être la dernière ligne droite avant l’accès au pouvoir.
Mais la condamnation de plusieurs cadres du RN, à commencer par sa présidente, pour détournement de fonds publics semble rebattre les cartes. Pour certains, ce serait plié, dans la mesure où le RN se heurte à un ultime écueil qui n’est plus politique, mais bien judiciaire.
Une telle thèse pèche par volontarisme, car elle tend à surinterpréter des éléments circonstanciels qui ont certes un rôle, mais qui ne peuvent expliquer les difficultés du RN.
Ces dernières sont plus profondes, même si elles ont été les choix de ses dirigeants.
Un parti anti-système
La première difficulté tient au fait que le RN incarne dans le système politique actuel un parti anti-système. Cela constitue sa force, car il a pu attirer des électeurs et s’identifier dans le jeu électoral. Mais c’est aussi sa faiblesse, car il n’est pas assimilé à une capacité de gestion, à la différence de Renaissance qui a su incarner la disruption dans le système (ce que Macron a fait à partir de 2016 et ce qu’Attal a tenté de faire dans sa réunion publique du 6 avril dernier).
Malgré des élargissements électoraux successifs (sa percée vers des « clientèles » moins en colère que son électorat initial), la multiplication de ses élus – notamment à l’Assemblée nationale – et même un relatif travail d’opposant, le RN est encore prisonnier de cette image paralysante. Dans l’opinion, c’est une contrainte, car les Français se méfient des protestataires – et cela reste ancré dans leur imaginaire –, quand bien même ils partageraient certains de leurs constats. Il y a donc un pas à franchir, mais il n’a été fait ni par les électeurs, ni par les cadres de certains partis comme Les Républicains.
Malgré les désastres économiques, la montée du communautarisme ou l’affaiblissement international de la France, les raisins de la colère accumulés au cours de deux quinquennats ne suffisent pas à poser le RN en alternative.
Difficile deuxième tour
Le RN a progressé dans l’opinion : il progresse chez les femmes et les cadres ; géographiquement, il s’affranchit même de zones reléguées et se rapproche des centres urbains.
À la différence des Insoumis, il ne se rétracte pas sur une base électorale qui peut se transformer en tombeau politique. Mais, à moins de verser dans une onirique fiction unanimiste, jamais un parti dans l’histoire politique française n’est parvenu à rassembler 100 % de l’électorat. Dans le passé, le parti communiste avait atteint jusqu’à 30 % des votes, mais il n’était pas allé au-delà. Marine Le Pen ou Jordan Bardella sont crédités de 37 % des intentions de vote et peuvent s’offrir la perspective d’un confortable premier tour. Mais après ? Ce phénomène de blocage pourrait être compensé par des alliances électorales, puis gouvernementales. Or, ni les formations du « bloc central », ni les Insoumis n’ont envie de gouverner avec le RN, sauf à dénaturer leur ADN.
La dernière singularité du RN est qu’encore plus que les autres partis, il mise tout sur la présidentielle. Le RN est le parti qui a le plus intégré le logiciel des institutions de la Ve République. Le RN entend ainsi créer un choc qui ferait que beaucoup se rallieraient. C’est un peu court.
Comme l’avait expliqué l’essayiste François Bousquet analysant les échecs du RN aux dernières législatives de 2024, ce parti oublie qu’il existe une société civile et qu’il faut frayer avec tout une « nébuleuse » : des artistes, des intellectuels, mais au-delà, avec tous les corps intermédiaires.
Or, à ce jour, le RN ne sait pas s’appuyer sur un vivier autre que celui de ses électeurs, oubliant aussi que ces derniers sont aussi des « hommes situés », pour reprendre l’expression du politiste Georges Burdeau.
L’électeur du RN est un père de famille, un chasseur, voire un paroissien. Le RN se plaint des intellectuels et des donneurs de leçons. Mais a-t-il cherché à les attirer ? Il aurait pu s’appuyer sur de jeunes essayistes conservateurs, partisans des « limites », donc inévitablement des frontières et du cadre national qui présente tout de même des avantages.
Or, à ce jour, le RN n’affiche aucune plume de renom. Même le parti ne semble pas à se prêter à une quelconque « respiration » : Marine ou Jordan sont seuls sur le navire RN, dont les failles se révèlent quand une élection arrive de manière inopinée. Et le caractère en partie familial de la machine RN complique encore plus les choses.
Jean-François Mayet
Politologue
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