Ukraine : lettre aux Français soutiens de M. Poutine

Ukraine : lettre aux Français soutiens de M. Poutine

L’illusion démocratique russe

Longtemps j’ai été favorable à un rapprochement avec la Russie, pourtant fraiche héritière de l’URSS. Ce pays n’avait pas connu la démocratie dans toute son histoire, n’ayant quitté les Tsars que pour se jeter dans les pattes des communistes. Mais la Russie, affaiblie à la fin de la guerre froide, ne semblait plus présenter une menace sur notre continent, et on pouvait discerner quelques inflexions démocratiques dans les années 1991-2000 ; même si le CV de son dernier chef, ancien officier du KGB, laissait planer quelques doutes sur sa sincérité. En outre, la géographie fait de la Russie un voisin pour toujours et une entente imparfaite est préférable à un affrontement. On pouvait avoir un regard indulgent pour son chef énergique, et même être un peu envieux des Russes. Pensant d’abord aux siens, soucieux de préserver la culture russe, résistant à la perversité « woke » et à la folie migratoire, il semblait, à certains égards, présenter des qualités que l’on cherchait vainement chez nos présidents successifs, M. Macron étant une synthèse aboutie de tous. Et que nous importait les aspects autocratiques de son exercice du pouvoir si cela convenait aux Russes ; et si cela ne s’imposait pas aux autres. J’ai même naïvement fait quelques commentaires « indulgents » lors de la mainmise russe sur la Crimée et une partie du Donbass. Je n’étais pas seul dans ce cas ; tout l’Occident n’a pas été plus vigilant que moi ; n’a pas réagi ; et a aussi compté pour rien la sauvagerie de la répression en Tchétchénie (mais république russe), les agressions en Géorgie et en Moldavie, sans compter l’hostilité ouverte, contre nous, des milices Wagner en Afrique.

Mais le 24 février 2022, le masque est tombé. L’impérialisme renaissant de la Russie de toujours m’a fait changer d’avis.

A ma surprise, une importante minorité de Français, dont des militaires, parfois de haut rang, avec qui j’étais en communion de pensée avant cette date sur les sujets d’identité, d’immigration et de délitement de l’Etat, n’a pas fait le même chemin que moi. Quand ils n’approuvent pas carrément la politique néo-soviétique de M. Poutine, ils lui trouvent bien des excuses, et cherchent même parfois, en tordant la réalité, à le faire passer pour une victime des provocations de l’OTAN, donc des Etats-Unis. Ce serait à son corps défendant qu’il a été obligé d’agir comme il l’a fait ; et, dans leur esprit, il reste le meilleur symbole de la résistance des peuples à une invasion culturelle regrettable, faisant pardonner tout le reste. Le soutien de M. Macron, qu’ils exècrent, à l’Ukraine, contribue aussi à les rejeter dans le camp d’en face.

Est-ce adhésion à l’idéologie sous-jacente conquérante de la politique poutinienne, refus d’admettre que l’on s’est trompé, ou pure fascination pour les autocrates, la force et la violence ?

Rien dans leurs arguments qui soit avéré ou qui ne puisse être équilibré par un argument inverse. En tous cas, rien qui pèse suffisamment lourd pour autoriser à ne pas choisir le camp de la victime.

L’OTAN, donc au premier chef les USA, serait la grande responsable initiale de la situation par sa politique agressive depuis toujours contre la Russie.

Pour résumer, la Russie envahit, mais la coupable c’est l’Amérique.

Quelle est la doxa pro-russe ?[1]

La Russie est encerclée par l’OTAN : faux ; il suffit de regarder une carte. Le plus grand pays du monde a sa façade sud bordée de pays neutres à son égard ou alliés de fait (Chine, Corée du Nord, Iran).

L’OTAN n’a pas tenu la promesse faite en 1991 de ne pas s’étendre vers l’est. Aucune preuve ne peut être apportée. Même M. Gorbatchev a reconnu qu’il n’y avait eu aucun accord de cette nature. La dissolution de l’URSS, précédée de la chute du mur de Berlin, n’a pas résulté d’une transaction entre les despotes déchus et l’Occident qui n’en aurait ensuite pas respecté les clauses. L’URSS s’est effondrée de l’intérieur. A la fin de cette » guerre », gagnée par l’OTAN sans tirer un coup de fusil, personne ne pensait à faire ami-ami avec les nouveaux Russes, soviets à peine convertis de la veille.

L’OTAN aurait dû être dissoute en 1991. Au contraire, elle a agrégé les pays de l’est européen, s’est montrée provocatrice et agressive. Qui peut croire qu’on pouvait accorder une confiance immédiate aux nouveaux Russes qui nous menaçaient depuis 45 ans ? L’OTAN est une alliance défensive. De quel droit rejeter ces pays apeurés, qui sortaient de presque un demi-siècle de cauchemar soviétique donc russe ? Depuis quand un état indépendant n’est-il pas libre de ses alliances ? L’actualité prouve que ce n’était pas inutile. On est même en droit de se poser la question de savoir si une Ukraine dans l’OTAN aurait été agressée. Probablement pas.

Les Russes n’ont fait que secourir les russophones de l’est ukrainien maltraités par le pouvoir central et bombardés par lui ; et de rappeler les 14.000 morts dans les zones contestée entre 2004 et 2014 ; en oubliant que ce bilan concernait les deux camps hostiles, et qu’être russophone ne veut pas systématiquement dire que l’on souhaite le rattachement à la Russie. C’est le prétexte souvent avancé par les dictateurs pour justifier l’agression de leurs voisins. Hitler l’a fait à plusieurs reprises dans les années 30. Poutine le fera peut-être à nouveau dans le futur vis-à-vis de la Géorgie, de la Moldavie, voire des pays baltes, qui comportent d’importantes minorités russophones.

Si l’Ukraine est devenue antirusse c’est en raison du rôle de la CIA dans la révolte de Maidan en 2014 qui a entrainé la chute du gouvernement pro russe légalement élu. Les USA sont donc responsable de toute la suite des événements. Faux. En fait, fin 2013, le président d’alors, Viktor Ianoukovytch, pro russe, décide d’annuler l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE, accord pourtant approuvé à une écrasante majorité par le parlement ukrainien, et de se tourner vers la Russie. C’est ce qui a déclenché les émeutes et la destitution du président par le parlement. Destitution légale mais contestée par la Russie qui considère qu’il s’agit d’un coup d’état dirigé contre elle. Elle réagit par l’invasion de la Crimée, et le soutien militaire aux insurgés de l’est ukrainien, en engageant des unités sans signes distinctifs et les milices Wagner. Dans les situations troublées, les services secrets ne sont jamais loin. Si la CIA y a joué un rôle elle n’était pas seule ; le FSB russe aussi était là. Peut-on imaginer que la majorité des Ukrainiens eux-mêmes étaient pour quelque chose dans ces événements, sans penser qu’ils ont été « forcés » par les USA ? Comme maintenant certains disent que les USA les forcent à se battre contre les envahisseurs ?

Les USA veulent détruire la Russie, et depuis 2014 arment l’Ukraine. Probablement faux pour la première affirmation et en partie vrai pour la seconde. Le grand souci des USA pour l’avenir est la Chine ; pas la Russie qui a un PIB dix fois inférieur au leur et ne compte comme grande puissance que par son arsenal nucléaire. Tout ce qui est accordé à l’Ukraine est soustrait à leur effort de compétition asiatique. Ils s’en passeraient sans doute volontiers si les Européens étaient en capacité de prendre le relais ; ce qu’il faudra peut-être faire si M. Trump arrive au pouvoir. Avec les Britanniques, ils ont aidé l’Ukraine dès 2014. Qui peut reprocher à l’Ukraine d’avoir cherché à renforcer sa défense après ce qui venait d’être déclenché contre elle ? Qui peut reprocher à ses fournisseurs de l’aider (soutien logistique, formateurs…) ? N’est-ce pas ce que tous les exportateurs d’armement ont toujours fait, y compris les Soviétiques, puis les Russes ?

Les accords de Minsk n’ont été respectés ni par les Ukrainiens, ni par l’Occident. Ces accords de septembre 2014, bien compliqués quoique imprécis, n’ont pas eu le résultat escompté. Sans doute les Ukrainiens n’étaient-ils pas ravis d’appliquer un traité qui limitait leur souveraineté sur des régions entières de leur pays (autonomie dans les oblasts de Donetsk et de Lougansk), et ne faisait même pas mention de la Crimée envahie et déjà annexée par la Russie. Ils avaient de quoi être méfiants. Mais surtout, aucun retrait des forces étrangères (donc russes pour l’essentiel), et des armes lourdes, dont celles de la Russie, n’a jamais eu lieu.

Notre aide en matériels militaires à l’Ukraine fait de nous des cobelligérants de fait. Tout dépend du sens que l’on donne à ce terme. Tant qu’il n’y a pas d’affrontements armés avec la Russie, nous ne sommes en tous cas pas belligérants. C’est une attitude, ambiguë certes, mais déjà rencontrée assez fréquemment dans le passé. La France a livré des armes à la Chine en guerre contre le Japon à la fin des années 30, les Etats-Unis ont aidé les alliés dès 1939, l’URSS et la Chine ont avec constance armé et aidé tous les régimes communistes de la planète ; et aussi nos adversaires dans nos colonies et en Algérie. Plus récemment, les milices Wagner agissent, contre nous, en Afrique.

L’Ukraine est un pays corrompu et toujours infiltré de nazis qu’il faut éradiquer. Il y a à peine plus de 30 ans toutes les nations de l’ex-URSS sortaient du même moule. Alors, qu’il reste des traces des tares du système communiste partout n’est pas surprenant. Mais les Russes sont mal placés pour faire ces reproches. Tous leurs dirigeants, y compris M. Poutine, font partie des nantis richissimes du système (même le patriarche de l’église orthodoxe russe), et leur président ne se prête plus qu’à un simulacre d’élection, sans opposants réels, tous récusés, emprisonnés, quand ils ne sont pas assassinés. On peut être emprisonné pour longtemps pour « extrémisme » (cas Navalny), mais aussi pour critique de l’armée, de l’« opération spéciale », pour avoir écrit un poème déplaisant au pouvoir. La jeunesse est embrigadée dès le plus jeune âge comme jadis les jeunesses hitlérienne ou communiste. Il n’y a plus d’opposition si ce n’est en exil. Quant à l’accusation d’anciens ferments nazis qui refleuriraient en Ukraine, rappelons que l’armée allemande a compté dans ses rangs deux divisions de Cosaques russes et plus de 600.000 russes (armée Vlassov) qui n’étaient pas majoritairement ukrainiens. Cette empreinte, très marginale 80 ans plus tard, est la même en Russie. En face, une démocratie à l’occidentale est en construction. Les progrès sont réels et on peut espérer qu’ils se poursuivront ne serait-ce que parce que c’est une condition sine qua non pour que l’Ukraine, qui en a fait la demande, puisse espérer être un jour accueillie dans l’UE.

Les régions annexées par la Russie ont auparavant fait l’objet d’un référendum dont les résultats étaient favorables. Référendums qui se sont déroulés une fois que les populations hostiles au rattachement avaient fui, et dans des conditions dignes des temps soviétiques, sans contrôle sinon celui des autorités nouvelles qui ont annoncé les résultats attendus.

L’Ukraine ne peut pas gagner la guerre. Armer l’Ukraine c’est prolonger le conflit et augmenter le nombre de victimes et de destructions. C’est le reproche le plus indécent qui puisse être fait. On regrette donc que l’agressé ne se laisse pas faire pour limiter, chez lui, le nombre de victimes et de destructions infligées par l’agresseur. Sans doute dans l’espoir que l’ogre repu ne recherchera pas autour de lui d’autres victimes. Faut-il encourager les Ukrainiens à céder parce qu’on a peur ? Personne n’imagine que gagner la guerre pour l’Ukraine signifierait que ses troupes iront défiler sur la Place Rouge. Par contre, qu’elle ait l’espoir de rejeter un jour l’ennemi sur sa frontière est légitime ; et dépend en grande part de l’aide occidentale. En tous cas, c’est à l’Ukraine de décider. Un pays attaqué a le droit, le devoir de se défendre. Ce n’est pas à nous de décider de la somme de souffrances qu’il peut endurer pour cela. Qu’aurions-nous pensé si en 1940 on nous avait dit que résister aux nazis était une idée folle car elle engendrait tant de victimes et de destructions sur notre sol ?

Il faut localiser le conflit. Localiser un conflit c’est toujours abandonner la victime à son sort. Nous l’avons fait en 1938 en abandonnant la Tchécoslovaquie. En entérinant le fait accompli, on se condamne à avoir la guerre quand même.

L’Occident, les Américains en tête, est responsable de la situation actuelle. La Russie a envahi l’Ukraine qui ne la menaçait pas. La seule comparaison des populations, des PIB, des forces en présence (pour ne pas parler des armes nucléaires) suffit à le prouver. Prétendre le contraire est grotesque. L’incendiaire Poutine a mis le feu à l’Europe. Aux historiens du futur de discourir pour savoir si des circonstances atténuantes peuvent lui être accordées. En attendant, ne renversons pas les rôles.

Cette guerre profite surtout économiquement aux Etats-Unis. C’est probablement exact, comme les deux conflits mondiaux du 20e siècle, mais ça n’en fait pas plus des fauteurs de cette guerre-là que des précédentes (de ce point de vue les européens se débrouillent très bien tout seuls). Continuer à importer les gaz et pétrole russes aurait été alimenter la machine de guerre de M. Poutine et il fallait donc y suppléer en faisant appel à d’autres fournisseurs dont les USA. Par ailleurs, faute d’une industrie européenne suffisamment puissante, ils sont le principal fournisseur d’armement. Pour l’Ukraine, dès le début, mais aussi pour nombre d’états européens qui, après deux ans de conflit, s’alarment enfin et cherchent à renforcer leur défense dans l’urgence. La Pologne se tourne vers les Etats-Unis et la Corée du Sud qui sont actuellement les seuls pays industriels capables de fournir de l’armement dans des délais raisonnables. On peut regretter que les acquéreurs ne se tournent pas davantage vers l’industrie européenne, française en particulier. Mais, après plus de 30 ans de rêves angéliques sur une paix durable en Europe, les industries d’armement y sont si réduites que nous sommes même incapables de produire des munitions à une cadence adaptée à un conflit de haute intensité. Il y a plus de 20 ans que la France n’a pas construit un char. Dassault a produit 13 Rafales en 2023 ; de quoi combler, en une année, les pertes de quelques jours de guerre. Les outils industriels redémarrent, mais combien de temps faudra-t-il pour passer en économie de guerre ? Les pays qui sont sur la « ligne de front » n’ont pas cette patience, et on peut les comprendre.

Cette guerre n’est pas notre guerre. Personne ne veut mourir pour Kiev. Ce n’est pas encore notre guerre ; espérons qu’elle ne le sera jamais. Si l’agresseur l’emporte, est-on sûr, qu’après avoir repris son souffle, il en restera là ? La meilleure façon de s’en prémunir est de se préparer à la guerre. L’histoire des hommes, c’est l’histoire des guerres. L’adage romain « si vis pacem para bellum »[2] restera toujours vrai, même si presque 80 ans de paix relative (grâce à l’OTAN pour l’essentiel) ont pu nous habituer à un continent sans grande violence et favoriser notre insouciance. M. Macron, qui vient de perdre deux ans qui auraient été utiles pour relancer notre industrie d’armement et muscler notre armée, parle inconsidérément d’engager des troupes françaises en oubliant que nous sommes nus. Quant au slogan « mourir pour Kiev ?», il rappelle évidemment « mourir pour Dantzig ? » né, en 1938, sous la plume de Joseph Darnand, de la droite patriote, qui fut ensuite un des plus ardents collaborateurs des nazis. Nous ne sommes alors morts ni pour Dantzig, ni lors de la réoccupation de la Rhénanie par Hitler, ni pour la Tchécoslovaquie. Les Français ont applaudi M. Daladier qui venait de céder au dictateur à Munich. Deux ans plus tard nous mourions pour Sedan, pour Dunkerque, dans les maquis et dans les camps de concentration. On peut être patriote à courte vue. Notre souci de sécurité ne commence pas sur le Rhin.

Il faut comprendre la Russie qui veut une zone d’influence, un glacis protecteur. Cet argument, à la rigueur entendable pour un petit pays qui n’a pas de profondeur stratégique, est inaudible quand il s’agit du plus grand pays du monde. Le souvenir de l’empire passé, qui faisait litière des libertés de ses voisins, hante sans doute M. Poutine. Mais pourquoi la communauté internationale devrait-elle y consentir et excuser par avance toute brutalité envers des pays qui auraient le mauvais goût de s’y opposer ? C’est d’autant plus suspect, inquiétant, quand on a présent à l’esprit que M. Poutine fait connaître que la Russie n’a pas de frontières, et s’arrête là où il y a des Russes, terme censé englober tous les russophones ; et sans doute les « frères » slaves. Ce prétexte commode a déjà servi pour justifier l’invasion de l’Ukraine, présentée comme un secours normal aux Russes persécutés. Va-t-il être invoqué demain pour la Géorgie, la Moldavie, et les Pays Baltes ? Là encore, comment ne pas faire un parallèle avec les années 1930 où ce prétexte a tant servi les ambitions nazies ?

Pour la Russie, l’Ukraine est comme notre Alsace-Lorraine : c’est une comparaison qui n’a pas de sens. Cette province française n’a jamais constitué dans les siècles passés un état indépendant reconnu par ses voisins. Et, ni en 1918, ni en 1944, nous n’avons été reçus à coup de canon par ses habitants.

La Russie n’a que l’ambition de ramener en son sein les régions peuplées de Russes. Il faut que la diplomatie française œuvre dans le sens d’un cesser le feu sur la ligne de front actuelle. C’est oublier que l’attaque initiale des Russes était dirigée contre Kiev. Le but était bien de mettre la main sur l’Ukraine tout entière, en s’aidant probablement d’un gouvernement fantoche qui aurait demandé l’aide du « pays frère ». Comme son coup initial est raté, M. Poutine se contenterait certainement des territoires conquis jusqu’à maintenant. En attendant mieux. Peut-être le sort des armes contraindra t-il les Ukrainiens à l’accepter. Mais, encore une fois, c’est à eux de décider.

L’histoire lie indéfectiblement l’Ukraine à la Russie qui donc a un droit sur elle. Des liens historiques ? Sans doute. Comme dans tous les endroits du monde, l’histoire s’écrit en lien avec les voisins, que les relations, évolutives dans le temps, soient pacifiques ou non. Mais qu’est-ce que ça change ? L’Italie, héritière du royaume de Piémont-Sardaigne va-t-elle nous réclamer Nice et la Savoie ? Ou même peut-être toute la France en se souvenant que la Gaule a été romaine pendant 500 ans ? Et, plus près de nous, les Anglais ne vont-ils pas faire valoir leurs droits ancestraux sur l’Aquitaine ? Les Francs ne venaient-ils pas de Germanie, justifiant des exigences allemandes ? Allons-nous revendiquer la Wallonie ou le canton de Genève où l’on parle français ? A force de remonter dans le temps sans limite raisonnable, en s’arrêtant au bon endroit, on peut tout expliquer, tout démontrer, tout justifier, tout revendiquer. Ce qui compte c’est l’existence des peuples. Et le peuple ukrainien existe. Il le démontre tous les jours.

Après avoir tenté de contrer les arguments classiques des pro-Poutine, rappelons, une fois de plus, les faits qui condamnent, à mes yeux, l’agression russe.

Le premier d’entre eux : la Russie est membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU et, à ce titre, avait l’obligation du respect des traités internationaux. Notons déjà qu’à l’époque où ça arrangeait bien l’URSS qui bénéficiait ainsi de trois votes à l’ONU, l’Ukraine, comme la Biélorussie, y avait un siège ; même si tous deux restaient sous la coupe de Moscou. Une certaine identité lui était donc reconnue. Ensuite, la Russie a, à plusieurs reprises, garanti les frontières de l’Ukraine. En 1991 lors de l’éclatement de l’URSS, puis le 5 décembre 1994 par la signature du mémorandum de Budapest, rarement évoqué. Il accordait des garanties d’intégrité territoriale et de sécurité à l’Ukraine, donc y compris la Crimée qui lui était rattachée depuis 1954, en échange du retour de toutes les armes nucléaires sur son territoire. La validité de ce mémorandum a ensuite été confirmée en 2009 par la Russie et les USA. L’Ukraine a alors rendu plus de 1000 ogives nucléaires et 170 missiles intercontinentaux. Que la Russie ait été ensuite déçue que les « frères » ukrainiens cherchent à se rapprocher de l’occident, sans doute. Mais c’est l’application du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (principe, là encore, issu du droit international), que des Français attachés à la démocratie et à leur propre patrie devraient chérir. Aucun pays, pas même la Russie, n’a jamais contesté l’existence de l’Ukraine comme état souverain. En tous cas, les Russes ont fait exactement ce qu’il fallait faire pour renforcer, exalter le sentiment patriotique ukrainien qui se forge dans le sang. Il se passera un siècle avant que ces deux peuples puissent se regarder sans méfiance.

Pas de Munich 2024 !

J’entends, même dans la bouche de politologues éminents, qu’il n’est pas pertinent de comparer la situation actuelle en Europe à celle des années 1930. Je pense le contraire. Les ressemblances sont frappantes. Un autocrate, à la tête d’une armée puissante, prend prétexte de la défense de minorités nationales soi-disant opprimées, pour envahir ses voisins. Les démocraties, aux majorités populaires pacifistes, se découvrent désarmées et enclines d’abord à se ménager les bonnes grâces de l’agresseur. Des minorités importantes, à gauche comme à droite de l’échiquier politique, trouvent bien des excuses à l’envahisseur quand elles ne le soutiennent pas ouvertement. Vrai en 1936/1938 comme en 2022/2024. D’un côté un dictateur qui fait taire toute opposition interne, de l’autre des démocraties soucieuses de ne pas bousculer leurs opinions et, en proie par ailleurs à des soucis domestiques : emprise communiste grandissante avant 1939, immigration musulmane maintenant.

Ce qui est différent c’est le souvenir des suites cuisantes des abandons de Munich 1938 qui, bien timidement d’abord, conduit l’Europe, heureusement soutenue puissamment par les Etats-Unis jusqu’à maintenant, à aider la victime ; alors qu’en 1938 France et Royaume uni l’ont abandonnée. Mais ce réveil est bien tardif. Nous venons de perdre deux ans. Il a fallu tout ce temps, malgré l’invasion de l’Ukraine, pour se rendre compte qu’aucun pays européen n’avait une armée capable de mener une guerre de cette nature. Pour nous Français, les « dividendes de la paix » nous ont amenés là. Nous sommes passés d’une armée de terre de trois corps d’armée de 12 divisions à… une ambition de 1 division à 2 brigades… pour 2027. Et on voudrait que la voix de la France pèse dans le monde ! Et M. Macron pense impressionner l’ours russe avec ça ! On a oublié que seuls les grands costauds sont écoutés.

C’est la Russie qui s’est désignée comme notre adversaire.

Il faut ouvrir les yeux. C’est la Russie qui s’est désignée comme notre adversaire ; pas l’inverse. Si nous ne voulons pas voir se répéter l’histoire, il faut faire tout ce qui est possible pour que l’Ukraine ne s’effondre pas. L’Iran, la Chine et la Corée du Nord, vraies dictatures, ne se gênent pas, elles, pour aider la Russie dont elles sont des alliées de fait. Profitons du répit offert pour nous réarmer ; vite ; nous Français et tous les pays européens. Ne comptons pas trop sur notre force de frappe nucléaire. Elle ne sert qu’à dissuader un adversaire potentiel d’une frappe nucléaire en premier. C’est beaucoup, mais c’est tout. A elle seule elle n’empêchera pas une agression. Dans le passé, des états « dotés » ont été agressés par des états non « dotés » : guerre de Corée, guerre des Malouines. Seule une armée « classique » puissante, peut dissuader l’agression. Il faut une dissuasion classique en plus de la dissuasion nucléaire. L’Europe a les moyens d’une alliance hors OTAN, nécessaire pour l’avenir ; surtout compte tenu des incertitudes américaines. Mais pour les temps présents il faut se cramponner à l’alliance atlantique parce qu’il n’y a pas d’alternative. J’entends beaucoup de commentaires anti américains ; par les mêmes qui encensent ou absolvent M. Poutine. L’Amérique est pleine de défauts ; comme nous. Elle reste une démocratie. C’est vers l’Europe et vers elle que tous les miséreux et les opprimés du monde se tournent ; pas vers la Russie. Ne nous trompons pas de camp ; M. Macron régnant ou pas.

Nous avons en face de nous quelqu’un ayant prouvé qu’il était capable du pire. Si la Russie se sentait menacée par l’Ukraine, pourquoi l’Europe ne se sentirait-elle pas menacée par la Russie ? C’est moins absurde. Etant dans l’incapacité d’assurer seuls notre défense, la seule alliance capable de faire face avec toute la gamme de réponses adaptées reste l’Alliance atlantique. Malgré leur mercantilisme, leurs volte-face, leur suffisance, leur inculture, leur wokisme et tout le reste, je préfère avoir pour allié les Etats-Unis de Biden que la Russie de Poutine[3].

[1] [1] Les phrases à la typographie en gras et italiques résument les arguments les plus souvent entendus.

[2] Si tu veux la paix, prépare la guerre.

[3] Ce dernier paragraphe a été emprunté en bonne part à un de mes correspondants dont le nom m’échappe. Il se reconnaitra peut-être ; j’espère qu’il ne m’en voudra pas.

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Comments (1)

  • Laure Tograf Répondre

    Monsieur Dubois fait preuve d’originalité dans son commentaire, en particulier en nous resservant la formule archi éculée de “Munich”. De même la citation de son correspondant “N° 3” empruntée aux Romains antiques : “si vis pacem para bellum” serait risible si elle n’était pas, dans notre situation, carrément tragique tant la disproportion des forces et moyens est énorme. Et pas seulement au seul niveau de la France (USA exclus). Enfin, nier que l’ Otan/Usa ont tout fait pour encercler la Russie est une contre vérité honteuse. Par ailleurs, la Russie n’a rien a attendre en terme de prédation sur la France : un pays qui s’offre comme une prostituée à l’invasion africaine qui, bientot la submergera. Si, d’aventure, les Russes gouvernaient la France il est très vraisemblable qu’ils feraient comme les Teutons, vainqueurs en 1940, qui n’ont même pas voulu prendre comme prisonniers les troupes africaines et les ont fait retourner aux bleds pour ne pas les avoir sur les bretelles.
    de Gaule estimait, lui, qu’à chaque période de l’histoire durant laquelle la Russie et la France s’entendaient bien, notre pays était en bon état – et vice versa –

    20 avril 2024 à 0 h 32 min

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