La France ludique et fatiguée : du général de Gaulle au « socialisme de jouissance »

La France ludique et fatiguée : du général de Gaulle au « socialisme de jouissance »

François Hollande doit son élection au scandale DSK qui faisait plus fort que lui sur le même terrain : le socialisme de jouissance qui enchantait les amateurs de meufs et de SMS sur les réseaux Twitter ou autres. Dans cette humanité de toquards, post-politique et post-humaine, on reconnaîtra les lugubres mais justes prédictions de Nietzsche sur le dernier homme ou de Tocqueville sur « les petits et vils plaisirs dont l’homme démocratique remplit son âme ». Hollande reprend le bâton de maréchal sociétal de Mitterrand (c’est le cas de le dire !) et de Lionel Jospin qui avait vu l’émergence à Paris des trottinettes pour sexagénaires boostés aux amphétamines ou vieilles filles affublées en ados de banlieue. C’est cet électorat friqué, déconnecté et décalé, qui a garanti l’évolution du socialisme de marché et de jouissance déjà perceptible au début des années 80. Il est là pour s’amuser, pour s’éclater, et il le fait savoir.

Depuis que la gauche ne se réclame plus du socialisme, de la révolution, des travailleurs et du reste, elle s’est alignée peu ou prou sur les positions de la gauche américaine façon Woodstock ou Bill Clinton : elle aime les jouets, la drogue, la culture libertaire, l’homosexualité, le mondialisme, les populations bigarrées, les vieux enfants, la fin des nations et leur remplacement par des réseaux, des loges, des nœuds, ce qu’on voudra. La droite française –je ne parle même pas des nationalistes – était pour l’essentiel une droite bourgeoise de province (l’UDF) ou une droite de conviction nationale (l’UDR). Elle était donc moins américanisée, en dépit des apparences, que la gauche socialiste postmarxiste qui a célébré tous les rappeurs, tous les rockers, tous les Greenwich Village de l’univers. Le capitalisme vraiment global s’est parfaitement marié sur ce point avec la gauche pour imposer la transformation de la France et de tout un continent. Toutes les grandes villes du monde perdent et leur âme et leur population. Plus personne n’a de déterminismes, on devrait s’en féliciter en haut lieu. Il y a les pauvres et les riches, et partout la même nullité, le même bonheur factice nourri aux benzodiazépines.

Le changement s’était produit déjà dès mai 68 avec la montée de l’anticommunisme de masse, la critique de la classe ouvrière (passée depuis un peu partout au populisme), le culte du cool et de la révolution sexuelle, l’encensement de toutes les cultures d’avant-garde, y compris les plus choquantes et les plus abjectes. Il s’était alors encore opéré une symbiose entre le capitalisme planétarisé et la culture pour choquer le bourgeois. La contre-culture accompagnait la contre-révolution économique également. Elle a même été conçue et financée à cet effet : le concert plutôt que la manif. Déjà ce phénomène frappait des auteurs éclairés comme Ellul, Debord ou Onimus. Au début des années 80 Gilles Lipovetski publiait son ère du vide qui cadrait très bien avec la nouvelle humanité festive de viveurs (l’époque des Bains-Douches), bobos, patineurs à roulettes, skieurs unijambistes, windsurfers du week-end, fumeurs de joints et tapeurs de cartons trois fois remariés. C’est ce qu’il appelait l’ère du vide, d’autres la postmodernité. L’individu vulgaire, consumériste et bien tatoué se reconnaissait mieux dans les 40 voleurs (ou les violeurs !) de la gauche mitterrandienne que dans les valeurs de la droite. Il passait ses soirées à rire de tout sur Canal+. Il était vraiment « nulle part ailleurs ».

Même si elle n’a pas été au pouvoir, politiquement parlant, laissant à la droite des années 2000 le soin de faire son aggiornamento festif et de trahir un électorat content de l’être (c’est sa jouissance, à l’électeur de droite, il est comme ça), la gauche socialiste française a brillamment su accompagner l’involution des valeurs, le déclin du sentiment national, la disparition de la famille et des valeurs ancestrales, pour parler comme « les vieux cons » et les « beaufs » tancés par mai 68… Mais l’involution des valeurs, ce que l’on nomme la culture moderne, en termes nietzschéens, repose aussi sur la menace ; la culture moderne c’est lady Gaga, d’ailleurs pas très commode, et c’est aussi la loi Gayssot. Car en même temps qu’elle prône le libertarisme, la gauche interdit d’interdire. C’est elle qui lance les anathèmes, qui diabolise l’adversaire culturel (quand il en reste un) et qui hurle à la fin de la tolérance pour les ennemis de la tolérance. Ici encore elle s’est parfaitement accordée avec le capitalisme apatride et délocalisé. Pour ce dernier, ce qui compte en fin de compte, c’est la carte bleue. Je me fous des blancs, disait un personnage de Miami Vice, l’important c’est que les billets soient verts. Carte bleue, billets verts, pas de blancs, c’est le New Deal de notre drapeau.

On peut dire que même économiquement la gauche a bien accompagné le mirage post-français. La France a cessé peu à peu d’être un pays entrepreneurial et industriel ou agricole pour devenir un pays de services. Cela signifie une ère non syndiquée, où tout marche à l’immigration clandestine et au réseau. Cela signifie aussi une ère de débrouillardise et de non-respect des règles et des contrats, bref une ère libertaire. La montée du prix de l’immobilier, déclenchée par l’euro, et qui a touché n’importe quel type de logement, y compris et surtout les plus pourris (tout commença encore en Amérique avec les lofts ou les docks…), a favorisé aussi ce capitalisme délétère, cet enrichissement « bidon ville » à l’hindoue où la vie chère se fait appeler haut niveau de vie. Le reste est allé de pair avec la montée en puissance de la fonction publique, avec la montée exorbitante et scandaleuse des dépenses de santé, d’éducation ou de sécurité : d’après notre ami Bill Bonner, elles ont décuplé en une génération en Amérique ! Devenu un parti de cadres et de professions libérales déjantées, de journalistes people et d’immigrés lobbyistes, le PS a peu de comptes à rendre à la classe ouvrière ; ou pas plus que les démocrates US ou le New Labour britannique.

J’ai quand même titré la fin du socialisme de jouissance. Peut-être que je me veux optimiste ? Je l’ignore : la France est certes tombée bien bas depuis mai 68 et elle peut tomber encore plus bas. La décadence n’a jamais de limites, relisez Pétrone ou Saint-Simon.

Mais tout de même, l’équipe en place est psychorigide et pas très compétente. Elle achève de ruiner le pays, sa culture, sa diplomatie, sa compétitivité économique. Elle impose par la contrainte et l’insulte (l’Eglise, toujours là pour prendre des claques) ses réformes libertaires et son brouet maçonnique ; et elle arrive juste avant une catastrophe monétaire et financière sans précédent. Sur le plan diplomatique, la France se ridiculise et se déshonore sur la question syrienne, en suivant les analyses bouffonnes de l’éternel BHL et en jouant au leader dépassé du « monde libre », au casseur du Qatar, à l’armurier de Riyad.

Le socialisme de jouissance aura ses limites à la fin de la nuit, quand il aura épuisé toutes les ressources du plaisir et du nihilisme qui sont ses ressorts. Mais il faudrait tout de même un général de Gaulle pour succéder aux Guy Mollo qui nous dirigent.

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Comments (4)

  • SMALL BARTHOLDI Répondre

    Si vous lisez La France de 1900 de Jean-Pierre Rioux, petit livre qui vient de paraitre, vous vous rendrez compte que la "France ludique et fatiguée" ne date pas de Jospin, de Mitterrand ou de Mai 68.

    Après Sedan, première raclée militaire de notre histoire récente, tout s’est mis en place très vite. Les Communards, ancêtres de nos émeutiers toujours prêts à profiter des désastres nationaux pour imposer leur nouvel ordre. Les intellectuels socialistes et leurs essais à rallonge qui disent tous la même chose. La République imbue d’elle-même et ses services publics aux ordres. Les Impressionnistes et leur éloge de la petite beuverie du week-end, vautré dans l’herbe et la panse bien remplie, barbus débraillés précurseurs de nos bobos. L’extrême-droite avec son cortège de nostalgiques neurasthéniques de la Grande Histoire, et voués à une marginalisation très concrète. Les fêtards cyniques qui faisaient la sacro-sainte Fiesta au Cabaret du Chat Noir (quel beau symbole de la France de l’après-Sedan). Les élites financières qui n’en avaient plus rien à foutre de la patrie et qui se fantasmaient déjà en businessmen new-yorkais pour le bonheur des dames. Des types jeunes qui partaient loin pour retrouver un peu d’air pur et se retremper , et qui souvent ne revenaient pas. Les poètes alcooliques et fiers de l’être qui crachaient sur tout et sur rien. Les professeurs d’écoles qui se voyaient en croisés de la République sociale et qui ne reculaient devant rien pour former les esprits. Les couples sans enfants. Les premières vagues d’immigrés. Les premières oeuvres d’art moderne, avec une fuite rapide dans l’avant-garde. La France écrasée entre l’Allemagne et l’Angleterre, définitivement déclassée dans les affaires mondiales. Des échanges culturels accélérés avec le Maghreb. Et même de rares âmes chrétiennes comme Charles Péguy qui en appelait à la rémission de la chère patrie.

    Tout y était déjà. Je ne sais si c’est rassurant ou encore plus inquiétant.

    1 octobre 2012 à 23 h 51 min
  • dissident Répondre

    oui bon assez bien dit sauf sur la fin, ne mettez pas trop en avant de Gaulle, assassin de l Algerie francaise et donc createur de la France algerienne, l homme qui avait une assemblee PSF en JUIN 1968 et qui voulait faire une politique PSU

    1 octobre 2012 à 22 h 26 min
  • quinctius cincinnatus Répondre

    Et si , par " inadvertance " , on s’intéressait aux choses VRAIMENT sérieuses dans les colonnes des " 4 V² " … nous savons TOUS , ici et ailleurs , que François II est une couleuvre , Fillon un poulpe et Copé un arracheur de dents de foire  … il serait plus intéressant et surtout plus POSITIF d’y lire des …  PROPOSITIONs raisonnées

    1 octobre 2012 à 19 h 33 min
  • André Virazels Répondre

    Bonsoir Monsieur,

    Oh! Combien de vérités?

    Votre analyse est excellente, combien pertinente, bien peu seront capables d’en mesurer la vérité. Notre France se meurt, déjà ils s’emploient aux funérailles et vain est notre espoir tant leurs certitudes sont grandes.

    Les grands philosophes du moment, ceux qui n’ont jamais travaillé avec un seul de leur sou, en sont à donner des leçons d’économie.

    Puissions-nous retrouver le bon sens en donnant une volée de bois vert à ces journaleux "inopcrates".

    Merci.

     

    1 octobre 2012 à 18 h 20 min

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