Les limites du « domaine réservé » du chef de l’État

Les limites du « domaine réservé » du chef de l’État

Avec le retour du Général De Gaulle aux affaires en 1958, le gouvernement redevient le centre d’impulsion central, notamment de la politique étrangère ainsi que de la défense nationale.

L’élection du chef de l’État directement par les citoyens érige ensuite ce dernier en monarque républicain et la personnalité du général De Gaulle fera le reste. Au sein de l’exécutif un départage s’est opéré de facto entre le Président et le Premier ministre, d’où résulte l’attribution sans restriction de la politique étrangère au premier.

Dans l’esprit de De Gaulle il y avait là une idée d’exclusivité qu’il a énoncée explicitement en parlant à ce sujet de son  « domaine réservé ».

Cet espace dédié au Président, qui n’est pas dépourvu de fondement au plan constitutionnel, s’est imposé comme une pratique institutionnelle intangible depuis les débuts de la Ve République.

C’est un sanctuaire jalousement défendu par son titulaire comme on l’a vu récemment à propos de la réaction agacée du Président à une tentative d’incursion de parlementaires sur un sujet relevant de la diplomatie.

Il reste qu’une question demeure : dans cette configuration, que devient le pouvoir de contrôle qu’en démocratie le Parlement et, au-delà, le Peuple détiennent naturellement sur les gouvernants ? N’encourt-on pas aussi le risque d’être embarqué dans une aventure tragique par un homme seul ?

Au cours de la semaine écoulée, sur le sujet de l’Ukraine, les prises de position bellicistes du chef de l’État à l’endroit de la Russie, et le risque subséquent d’affrontement ouvert avec ce pays, ont relancé brutalement le questionnement à ce sujet.

Les différents présidents qui se sont succédé à l’Élysée ont, dans l’ensemble, rendu compte de leur action, mais l’inconvénient de la formule est tout de même que l’international demeure aux yeux de l’opinion un sujet lointain, n’incitant pas à la vigilance civique – exposant, au pire, au risque du fait accompli.

Avec le dossier ukrainien, nous en avons une illustration criante. Depuis le début, le chef de l’État a géré ce dossier de manière solitaire n’informant les Français de ses initiatives que de loin en loin et sans rechercher leur adhésion au soutien inconditionnel apporté par lui à l’Ukraine, la considérant comme allant de soi. Aujourd’hui, le discours est passé en mode durcissement face à la Russie, position dictée par la considération qu’il faut empêcher celle-ci de l’emporter.

Pour conduire la politique étrangère, il est dans l’ordre des choses que le Président dispose d’une latitude d’action. En démocratie l’exécutif n’est toutefois nullement dispensé de rendre compte des détails de son action et d’accepter les contrôles afférents. Aux USA, c’est ainsi que les choses se passent entre le Président et le Congrès, comme on le voit avec les divergences sur le dossier de l’aide à l’Ukraine. Il en va de même en Grande-Bretagne.

Il se murmure que nous aurions déjà des forces spéciales en Ukraine. Nous avons par ailleurs positionné des troupes face aux forces russes dans les pays Baltes et des blindés en Roumanie et prévoyons d’en augmenter le nombre. Le Parlement est-il associé à la préparation de ces mesures ?

Cette compétence particulière reconnue par l’usage qu’est le « domaine réservé » n’a pas, dans le passé, soulevé trop de difficultés. Sans doute parce que nous n’avons pas connu de longue date de situation de tension aussi forte qu’aujourd’hui. Le contexte est à présent incertain. Il exige un pilotage au plus près. Il faut sans doute recalibrer le domaine réservé dans le sens d’une meilleure transparence, de sorte que les citoyens puissent vérifier que la barre est tenue au mieux de l’intérêt national, et si besoin dire stop à tout projet aventureux.

Fondamentalement, le domaine réservé investit son titulaire de prérogatives de nature à l’inscrire dans le « jupitérien ». Sa mise en œuvre suppose, dès lors, chez ce dernier un mental en rapport. Avec De Gaulle, cela ne posait pas de problème ; c’est la différence avec le temps présent. Il semble qu’on évoque la perspective d’une extension de la guerre avec une certaine légèreté et que soit oublié qu’il a fallu 30 ans à la France pour se relever des dommages causés par la Seconde Guerre mondiale. Nos anciens ont connu les tickets de rationnement jusqu’en 1950 …

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