Vivre hors de la matrice : José et le génie de la montagne andalouse

Vivre hors de la matrice : José et le génie de la montagne andalouse

L’Espagnol est sobre, loyal, patient et désintéressé; il est fier, il est brave, il est religieux. Que lui veut-on de plus, ou de moins? Il a les défauts de ses vertus, mais il n’a pas de vices.

Bonald

 

Pour vivre hors de la matrice, il ne faut pas filer au fin fond de l’Amazonie ou de la Sibérie. Cette folie ne dure que quelque temps, le temps de faire un reportage. On sautille partout et puis il faut rentrer en avion ou bécane.

Il faut rester en un lieu où l’on ait la force de rester. C’est une question d’habiter avec soi-même, non de filer avec soi-même. La matrice est la fuite, et le refus de l’être. Il faut donc être en un lieu où l’on ne mesure pas le temps d’une fuite. L’église est une nef, un vaisseau, et pas un fleuve. On laisse le fleuve à Héraclite et au capitalisme en continu, on réalise le christianisme champêtre, ce clavecin bien tempéré du monde. C’est cela « habiter », et c’est le champ du monde. Comme a dit un écolo pour une fois bien inspiré, la terre donne et produit pendant mille ans ou plus, la construction deux mois par an ou bien zéro. A méditer à l’heure où notre terre est recouverte (disait Mumford) de détritus urbains, à méditer quand notre euro vaudra zéro.

Vivre hors de la matrice ne doit pas durer le temps d’un caprice, d’une rupture, d’une vacance. Je ne mesure jamais, me dit mon logeur José, ancien maire de Trevelez. José a construit des centaines de mètres carrés avec les pierres de sa rivière, mais il n’a pas mesuré ! Il travaille douze à quinze heures par jour, mais il n’a pas mesuré. Il porte la même chemise propre et repassée pour travailler depuis dix ans, mais il n’a pas mesuré. Il a peut-être trop construit mais comme dit Bonald, c’est le défaut de ses vertus et ce n’est pas un vice.

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José et sa laitue avec un grand sourire

 

 

Le vice est venu dévorer la côte d’usure en Espagne, car comme a dit Piéplu, les cons sont sur les bords. José me donne l’exemple de sa sagesse dans son village construit non seulement à la campagne mais aussi – mais aussi, pour faire rager le trop spirituel Allais – à la montagne. Il a gardé sa famille autour de lui, grands enfants y compris. Pourquoi envoyer ses enfants comme tant de Français à Singapour ou à Seattle ? Qu’y a-t-il là-bas, à part quelques dollars de plus, vite dépensés dans les avions et dans l’immobilier ? La société où tout est basé sur le fric est de moins en moins rentable, elle est de plus en plus radine. Que j’en connais des gens, partout, qui vivent mal avec dix ou vingt mille dollars mensuels…

José a vu arriver les touristes dans ces parages hauturiers de nos Alpujarras, mais il affirme que le tourisme de Trevelez est un tourisme lent. Eloge de la lenteur… On vit d’autre chose ici, et c’est cette autre chose qu’il convient de découvrir et de préserver. Maire humble, dans indemnités ni casseroles aux fesses, candidat à la non-réélection (ce qui me paraît une excellente option en politique : on ne se fait réélire que si l’on veut durer par intérêt, alors qu’on se fait élire pour un programme –soi-disant ; le programme de José c’était les sentiers, José était un pontife !).

Un de mes cousins aussi, nommé Augustin, était maire en Lozère de son village. Le reste de sa vie, il taillait des pierres, construisait des maisons qu’il me signalait sur la route, à des kilomètres de chez lui. Lui aussi n’a été maire qu’une fois. Il faut être mère plusieurs fois et maire une seule, notre société fait tout à l’envers.

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Un cheval sibyllin sachant cheminer seul

 

 

Les grands américains ont tout dit en deux phrases : Thoreau, qu’il ne faut pas être l’esclave de sa conscience (on accuse la société de notre malheur, mais nous en sommes les seuls auteurs) ; Poe, qu’il faut renoncer à toute ambition abstraite. De ce fait nous restons alors tranquilles pour nous adonner à la grandeur concrète : la maison, le jardin potager, la forêt, l’animal, la famille, l’équilibre vital. La civilisation industrielle a tout détruit et tout homogénéisé pour presque rien en 200 ans, et elle a disparu ; la civilisation postindustrielle et virtuelle, nous le voyons, n’est rien, quand on n’est pas dans la technophilie et l’addiction médiatique. Elle n’est que « presse digitation », com, inique action. Elle passera après avoir occupé l’esprit de quelques agités de la politique et des affaires qu’il faut empêcher de détruire ce qui reste à détruire, libertés y compris. Mais ne polémiquons pas, Léon Bloy l’ayant fait mieux que nous :

« Et l’époque est sans doute peu éloignée où les hommes fuiront toutes les vanités du monde et tous ses plaisirs et se cacheront dans les solitudes pour se consacrer entièrement, exclusivement, aux AFFAIRES. »

Eh bien, c’est fait.

Le cœur de Trevelez – avec les jambons, de haute tenue, et qui incarnent ici, vrais instruments de combat, l’esprit serein de la Reconquista – ce sont ces jardins. Ils compénètrent le village, ils vivent avec lui. La construction n’a pas osé trop empiéter, ç’aurait été trop d’impiété. Au contraire en Espagne depuis la Crise (une expérience intéressante, qui finalement renforce la famille, la non-violence, la balance commerciale, les solidarités, qui déconnecte les gens des ruineux médias, et qui les rapproche de ce qui donne immédiatement, la terre justement comme on dit aujourd’hui encore ici à la télé…) on reconnaît une petite renaissance terrienne et tellurique. On redécouvre l’intérieur, on n’est plus à la plage.

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Un homme non marteau avec une faucille !

 

 

Donc José file à cinq heures du soir à sa huerta, où il cultive son jardin. Il a planté beaucoup de framboises, des cerisiers, des pommiers, des poiriers, il aime les patates, les tomates, du persil pour chaque jour, des courges et courgettes, des haricots pour plats typiques (dit ma femme, élevée dans le devoir de Dvor dans la défunte Union soviétique), concombres et carottes (attaquées par des taupes aussi aveugles que nos politiciens), des aubergines (le mot en castellan, berenjena, m’a toujours enchanté !). Il ne fatigue guère, comme tous les gens qui travaillent durement. Ils se plaignent brièvement, se remettent à l’ouvrage, et la douleur trépasse. L’inverse du citadin que je suis, et qui emphatise sa douleur, quand il ne la crée pas mentalement. Tout est dans la conscience, Thoreau toujours. Le dynamisme de la population du village, dans une région enkystée par l’obésité, fait plaisir à voir. Il faut voir ces ancianos, comme on dit, dresser les meules à la nuit tombante ou se presser le matin dans un sentier de montagne pour quelque petite affaire. Trevelez est d’ailleurs une cité silencieuse : le flot de purin de la mélodie mondiale ne l’atteint pas, ou alors peu. On apprend à vivre avec un petit silence mondain, entrecoupé des chansons du torrent, du hennissement équestre, de l’aboiement lointain, (les chiens d’ici sont bien doux, bien élevés et le maître n’a pas été dressé à ramasser leur merde). Le frémissement de la montagne à l’apparition de la lune pleine (assez phénoménale ici) ou du soleil suffit à exalter le silence. La montagne d’ailleurs, l’été comme l’hiver, devient terrain de sport, avec le touriste moyen en bâton de marche nordique et maillot de bain, la tête couverte comme Lawrence d’Arabie mais les cuisses grillées à l’air, sous une intensité solaire tout aussi olympique. Mais ces gens-là repartent vite et la montagne reste la source de l’eau pure et du discret mystère. On voit parfois un promeneur libre se livrer à l’étude de l’herboristerie.

Ce n’est pas parce qu’on est dans un village que l’on est hors de la matrice. Voyez le village de France, ses banques, ses débits de boisson (relire Céline et Mirbeau à ce propos), ses salons d’esthétique (Marguerite, suis-je belle, mon miroir, etc.), ses agences immobilières (ô désastre mondain !) ; et puis aussi ses pharmacies car dans notre monde de malades imaginaires… Il faut donc bien considérer en entrant dans un village pour s’y retirer ou s’y étirer à quelle distance il se tient de la matrice. Au cas contraire, rester en ville. La banque a été ici le vrai détonateur, le vrai problème, la vraie matrice, avec l’euro le vrai péché (la dette, en latin d’église : dimitte debita nostra…) ; profitant comme tous les tentateurs moins du vice que de l’absence d’une certaine vertu que l’on nommait jadis méfiance. On la transforma en préjugé et tout le monde se ruina pour faire plaisir à la Bête.

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Un village tout blanc au flanc de la montagne…

 

 

Ce n’est pas non plus parce qu’on est hors de la matrice que l’on ne sait rien faire. Je dirai même l’inverse : en sortant de la matrice, on redécouvre le monde matériel, on quitte l’idéalisme et puis le virtuel, on redécouvre la matière et l’incarnation. Tout le monde ici sait bêcher, sarcler, planter, réparer, bricoler, repriser, édifier, dépanner, se soigner. L’homme autarcique, contraire au libre-échange globalisé, règne en maître sur son petit territoire qui devient grand comme le monde. C’est Chesterton qui en parle quelque part de ce bourgeois mondialisé qui vit dans un monde petit (à Seattle à Singapour), quand notre paysan polyfacétique et polytechnicien, banquier, chimiste aussi, cuisinier, physicien, survit en vrai seigneur dans le microcosme absolu.  Comme le marin hauturier ou le pêcheur d’antan, José a appris à tout faire. Je me rappelle avec émotion mon cousin Augustin, dieu bricoleur (le samilnadach chez nos ancêtres) lorsqu’il discutait avenir avec sa sœur en un patois parfait. C’était aussi un homme de la Renaissance, la vraie, pas de celle des pauvres comme Jobs qui tripotent leur Androïd ou le Smart phone sans savoir ni ce que c’est, ni où c’est fabriqué.

Il faut apprendre dans quel monde on survit, le savez-vous, amis ?

On raconte que Tolkien fut émerveillé à Venise par l’absence de l’automobile. Ailleurs, il écrit qu’à l’occasion de l’ouverture d’une énième station-service on se trouve au Mordor. Il est important au vrai d’échapper à l’information, à la presse oppressante (on ne voit même pas de journaux ici, cela n’intéresse plus personne comme dans ce film de Philippe de Broca où Marielle découpe toutes les mauvaises nouvelles, ne laissant au pékin qu’un lambeau de journal) qui remue le scandale, mais il est aussi important de retrouver le cheval. Ce serait bon un monde où l’on renoncerait au moteur. Le village interdit ici physiquement l’utilisation de la bagnole, donc on monte, on descend, on monte à cheval, on vit dans l’essence de la science silencieuse. Evidemment, on doit bien sûr avoir parfois recours à cette mécanique pour quelques courses lointaines. Sortir du village ou y venir en temps de crise avec un baril couteux devient obtus.

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Les travailleurs de meule à la tombée du jour

 

 

José, qui est politiquement d’une gauche bon teint travailleuse – sans donc me prendre la tête une seconde, ni se la prendre -,  me raconte sa jeunesse : il avait seize ans, il avait quitté l’école avec donc toute sa tête, il transportait les vaches dans la province de Cordoue, plus belle ville de ce monde, par groupes de 400. Il y allait à pied, avec un petit groupe, dormant à la belle étoile ; on partait en novembre au moment des frimas de la montagne (on est quand même à 1600 m ici). Pas une plainte, pas un bobo, des petits veaux naissaient, ils retrouvaient leur mère dans le petit troupeau, et on suivait la route jusqu’à Cordoue. Parfois on se perdait dans un pueblo, on doutait d’une route ou pire de la rue. Eh bien me dit José, on laissait partir avant les plus expérimentées des vaches et elles retrouvaient bravement le chemin, avec toute leur tête. Ce n’est pas si sot une vache ; on la trouvait d’ailleurs dans notre crèche.

J’arrête là, je n’écris plus de livre, l’époque ne s’y prêtant plus (on a autre chose à faire, des affaires et des guerres notamment). José apprend deux choses : la chair est faible, certes : on ne veut pas se baisser pour travailler la terre, on ne veut pas se lever, on ne veut pas marcher ; mais l’esprit aussi est faible. On préfère l’HLM et le poulet aux hormones comme dit Jean Ferrat, à toute autre vie moins urbaine.

Et qu’on ne me casse pas les pieds ou souille mon texte avec le retour à la terre.

Je parle d’un retour à la raison.

Nicolas Bonnal

Contact José : Meson Del Jamon, barrio Medio, Treveléz. Espagne (le téléphone pour une autre fois)

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Comments (6)

  • Scoubidou Répondre

    Alors comme mon précédent message a été une nouvelle fois censuré ( bizarre pour un site qui fait l’apologie de la vérité et du parler vrai ), je tiens à dire que je suis entièrement d’accord avec les propos de Zèbre zélé…et je ne suis pas le seul !

    29 juillet 2013 à 22 h 04 min
  • Zèbre Zélé Répondre

    Quel invraisemblable charabia ! C’est tellement nébuleux et mal écrit qu’on renonce à comprendre ou à terminer la lecture

    27 juillet 2013 à 22 h 51 min
  • Xavier de Lauzon Répondre

    Bonjour à la censure sur ce site…
    Et pourtant mon commentaire n’avait rien d’insultant
    à l’encontre de M.Bonnal…

    26 juillet 2013 à 22 h 14 min
  • quinctius cincinnatus Répondre

    Marc-Aurèle aurait ( sans doute ) fait un éloge plus concis des rapports de la Nature avec la Raison
    Mais cela fait du bien de lire Bonnal, même prolixe à l’excès, après s’être “tapé” la prose emballée sous vide d’un Millière

    mon cher ” con-citadin ” et occitan merci de cette bouffée d’air frais andalous

    26 juillet 2013 à 17 h 44 min
  • Philippe Lemaire Répondre

    ‘les cons sont sur les bords’ : en Espagne ils sont surtout dans les arênes à se rejouir de l’agonie d’un taureau.

    26 juillet 2013 à 9 h 47 min
    • quinctius cincinnatus Répondre

      Oui, ils sont à bronzer idiots sur les bords de la mer… de ***

      … *** qu’est devenue la Méditerranée

      28 juillet 2013 à 12 h 19 min

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