1920 : quand l’Amérique refusait l’immigration européenne

1920 : quand l’Amérique refusait l’immigration européenne

Je commencerai par rappeler cette vérité psychologique élémentaire : les antiracistes et les chauds partisans de l’immigration ont toujours raison. Ce n’est pas pour rien qu’ils gagnent à toutes les élections et que partout le monde se créolise.

Nous sommes convaincus que les immigrés afro-asiatiques viennent trop nombreux ; qu’ils ne peuvent pas s’adapter à notre civilisation pour des raisons diverses et variées, et qu’ils sont en tout cas indésirables. Nous sommes aussi convaincus que nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde (on verra…). Enfin nous faisons semblant de croire que l’on peut établir des barrières et sélectionner ses immigrants. Enfin nous croyons ou nous pensions être un pays de Français ou d’Allemands ou d’Italiens.

Or c’est exactement ce que pensaient les Américains au début du siècle dernier, ou plutôt après la guerre, quand les plus anciennement établis (je sais, je sais, les Indiens…), de souche anglo-saxonne et germanique, décidèrent que les nouveaux arrivants devenaient top nombreux, et qu’il fallait mettre un frein au Melting pot célébré par Israël Zangwill. Il rentrait un million d’européens par an aux USA, qui n’avaient pas la bonne mine des patriciens de Virginie ou celles des sportsmen de Newport. Pour voir de quelle sorte de faune il en retournait, je recommande de revoir sur Youtube L’immigrant de Charlot, un de ses films les plus percutants de l’époque. L’immigration de pauvres fait toujours peur ; celle des riches est bienvenue partout.

Nous sommes dans les années 20. A cette époque l’opinion américaine est, on le sait, isolationniste, très marquée par l’idéologie WASP et elle s’embrigade dans les régiments exotiques du Ku Klux Klan, avec des défilés de dizaines de milliers de membres. Le mot WASP désigne ceux dont les « ancêtres » sont des anglo-saxons protestants comme d’autres en France se vantent d’avoir des « ancêtres » qui se nomment Gaulois. Mais on sait que l’humanité est faite pour évoluer. Et on connaît ses vrais ancêtres, à l’humanité.

En 1920, en Amérique, on a aussi très peur de l’anarchisme et du bolchévisme. Certains voient dans l’Europe ruinée par la guerre le fourrier du communisme. Ce sera aussi le fourrier du fascisme. On peut relire ce qu’écrit Céline au début du Voyage au cours de son impressionnante arrivée :

Pour un miteux, il n’est jamais bien commode de débarquer nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. « C’est tous des anarchistes » qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar. J’aurais peut-être pu essayer comme d’autres l’avaient déjà réussi, de traverser le port à la nage et puis une fois au quai de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar ! » C’est un truc.

C’est l’époque aussi où on ne cesse à gauche de se moquer de Babbitt, le franchouillard américain : protestant, riche et blanc, c’est une vraie horreur. L’auteur de Babbitt sera compagnon de route du communisme planétarisé et sécularisé.

En 1922 le journaliste Kenneth Roberts publie un livre passionnant sur cette Europe qui quitte son « home » (*). On est ruiné par la guerre, par le Traité de Versailles qui en prépare une autre, on est ruiné aussi par l’inflation (Roberts écrit que le prix d’un cheval est multiplié par douze en Europe centrale), et tout le monde veut déguerpir, au centre, au sud, à l’est.

Notre journaliste s’en prend alors à cette immigration européenne, sans distinction de race, de couleur ou de religion ! Il ne veut ni des Italiens, ni des Grecs, ni des Tchèques, ni des Slovaques, ni des Polonais, ni des juifs, ni des orthodoxes, ni des catholiques, ni des Russes, ni des balkaniques, ni de quoi que ce soit. On veut alors préserver en Amérique la souche raciale anglo-nordique. L’immigration des îles britanniques et de l’Allemagne est déjà du passé, l’immigration scandinave s’est tarie elle aussi, et l’on ne veut pas des va-nu-pieds de l’Europe du sud et de l’est. Le désintérêt racial (quel euphémisme !) pour les slaves, les juifs ou les méditerranéens (little dark man, dira Madison Grant) s’accompagne d’une peur politique et philosophique : on a peur des communistes, des jamais contents, des agitateurs sociaux, et bien sûr des bolcheviks.

Cette peur n’a rien d’anormal, on n’a qu’à lire l’autobiographie (Ma vie) de Trotski pour la comprendre. On est au début de la révolution russe, et notre futur héros de la libération mondiale, qui est venu sur les rives de l’Hudson se moquer de Babbitt (il s’en occupera plus tard) et surtout prendre des forces et de l’argent, donne la température d’une New York cosmopolite et surexcitée :

Des meetings extraordinaires par le nombre et l’ardeur des participants se tinrent dans tous les quartiers de New-York. Quand on apprit que le drapeau rouge flottait sur le Palais d’Hiver, des hurlements d’enthousiasme s’élevèrent de toutes parts. Non seulement les émigrés russes, mais leurs enfants, dont certains, déjà, ne savaient presque rien de leur langue maternelle, vinrent respirer dans ces assemblées les souffles ardents que nous envoyait la révolution.

Kenneth Roberts n’invente donc rien ; il a peur pour des raisons économiques d’une immigration qui dévalorise le travail manuel, fait baisser les plus bas salaires, et vole en quelque sorte leur travail aux Américains ! Il apprécie par exemple l’efficacité légendaire des Tchèques mais n’aime pas leur penchant social-démocrate. Il sent aussi l’hostilité monter entre les Tchèques et les Allemands, car il séjourne longtemps en Europe à cette époque. Roberts ajoute aussi que les immigrés sont des ingrats et puis des mécontents, et que les Américains sont toujours trop oppressants avec eux, par exemple en leur demandant d’apprendre l’anglais ou de partager leurs valeurs ! Le pays d’accueil est taxé d’oppresseur. 90% des immigrés se sentent « oppressés », écrit Roberts.

Je n’insiste pas plus, recommandant le téléchargement de ce livre passionnant sur archive.org, le meilleur site au monde en ce qui me concerne. Le fait que les Américains aient réagi et résisté (en vain bien sûr) offre une information de choix : eux non plus ne se considéraient pas comme un pays d’immigration, mais comme un pays de colons anglo-saxons bien établis, secondés plus tard par les Allemands et les scandinaves : tout cela est parti en bouillie depuis. La pression démographique mondiale a été la plus forte.

L’Europe est devenue ensuite fasciste ou communiste. Et puis elle a été rasée et puis elle est devenue un machin. Une fois de plus cela donne raison aux partisans de l’immigration à outrance, aux partisans de l’ouverture des vannes et des veines. Il faudra donc ouvrir les vannes, ce que nous demande de faire le patron de Goldman Sachs international et ancien commissaire européen, l’honorable Peter Sutherland.

Comme dit Schwarzenegger quelque part : être ou ne pas être ? Ne pas être.

(*) Why Europe leaves home, sur archive.org, en format PDF ou autre. On découvrira aussi Stoddard, the rising tide of color.

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Comments (3)

  • Thomas Répondre

    Il me parait assez paradoxal de constater que l’Amérique voyait d’un mauvais oeil l’immigration slave (assimilée à tort à l’anarchisme, au communisme, au bolchevisme etc. ce qui est faux bien entendu, il suffit de voir ce qui se passe au sein de l’UE : les slaves et les baltes sont les plus conservateurs d’Europe, ils votent majoritairement à droite) mais a fini par accueillir sur son territoire des millions d’immigrés hispanos, et ce alors que la différence ethnique entre Celtes/Germains et hispaniques est bien plus grande que celle entre Celtes/Germains et Slaves qu’entre Celtes/Germains et Slaves…

    17 novembre 2013 à 19 h 33 min
  • grepon Répondre

    Last Action Hero. Le futur gouverneur de la Californie jouait Hamlet, mais facon film d’action stereotypique.

    3 mai 2013 à 7 h 15 min
  • Janko54 Répondre

    Dans les années 20, l’Amérique a fermé ses frontières, en grande partie parce que les immigrés méditerranéens étaient trop nombreux par rapport à ceux en provenance d’Europe du Nord.

    Mais aujourd’hui elle ouvre grand ses portes à des immigrés, notamment latinos (donc majoritairement d’origine méditerranéenne, et qui n’ont pas grand chose à voir avec la culture anglo-saxonne). Alors vous savez.

    Les choses peuvent changer.

    27 avril 2013 à 14 h 21 min

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